Ma Yansong, architecte onirique
Publié le 14 Août 2014
Du dialogue entre l'ordinateur et ses rêves, cette figure de la déconstruction chinoise fait jaillir des formes souples et élastiques
Nous avions d'abord rencontré Ma Yansong en 2006 dans l'atelier qu'il occupe au nord-est de Pékin. L'atelier, peint en blanc, aux murs tapissés d'étagères régulières et vides sur les rayons supérieurs, présente une structure aux larges fermes métalliques sous un toit plutôt plat. Ici et là, comme autant de sourires, des statuettes de chevaux en pierre blanche : le caractère Ma (« cheval »), qui correspond au nom de famillede Ma Yansong. Rien à attendre de symbolique de son prénom Yansong, assez répandu en Chine.
Peu avant, nous avions visité ce qui était alors sa seule et première oeuvre. Situé dans le district de Miyun, le Club Hong Luo, destiné aux notables, est posé sur l'eau, comme un grand albatros fatigué. L'édifice est assez photogénique, avec son toit futuriste, courbe et blanc. Dans la réalité, il est la preuve qu'il ne faut pas se fier aux photos en matière d'architecture : pas très bien fini, assez épais et bizarrement agencé. Sans doute construit en peu de temps, comme si Ma avait voulurattraper le petit groupe des constructeurs de villas de la Commune de la Grande Muraille, collection d'architectures réunie par le groupe chinois Soho.
Depuis, Ma a fait une carrière fulgurante. Il est le premier Chinois à avoirobtenu une commande d'importance à l'étranger, en l'occurrence, les Absolute Towers, deux tours faussement jumelles, situées à Mississauga près de Toronto (Canada). Follement « swingantes » dans leur paysage cubique, elles ont été surnommées « les tours Marilyn Monroe ».-
Des édifices oniriques
Mince et carré, Ma Yansong, 39 ans, est doté d'une tête allongée, plutôt sévère, avec un faux air de Droopy, les bajoues en moins, l'air de dire :« Vous savez quoi ? Je suis heureux. » L'est-il vraiment ? La réussite au moins lui sourit, mais sans qu'on sache avec quelles mystérieuses complicités. Une grande photo postérieure au Club Hong Luo le représente dans un intérieur rouge mandarin. A son côté se trouvent l'artiste (et architecte) Ai Weiwei, ainsi que deux personnalités du monde de la construction réputées puissantes. L'ensemble reprenant sur lemode satirique une peinture classique. Entre eux, une feuille de dessin où figure un des premiers et grands projets irréalistes de Ma. C'est l'époque où il recouvre Pékin d'un immense nuage globuleux, dont on ne saura jamais vraiment s'il s'agit d'un projet, d'une oeuvre d'art ou d'un rêve utopique. Un projet supposé écologique, composé d'immenses plates-formes verdoyantes reposant elles-mêmes sur une forêt de « tiges » grimpant à quelques quatre cents mètres de haut.
Ma Yansong ne laisse rien au hasard. En quelques années, il a multiplié en Chine les réalisations les plus improbables. Des édifices oniriques et de très grande taille, à mille lieues des hutongs de Pékin où il a vu le jour dans une famille confortable. C'est aussi à Pékin que le jeune homme, né en 1975, entreprend des études, à l'Institut d'ingénierie civile et d'architecture, puis à l'université Yale, aux Etats-Unis, sacrées par un diplôme en 2002.
Ce qui suit va expliquer le profil qu'il se choisit : il travaille dans les agences de Peter Eisenman, figure majeure de la déconstruction proche de Derrida, et de Zaha Hadid, Prix Pritzker 2004 et considérée comme la papesse de l'avant-garde architecturale. Ma Yansong qui fonde Mad, son agence, en 2004, se fait la main sur l'Opéra de Canton (Guangzhou, dans la province du Guangdong), signé par Zaha Hadid en 2011.
Plateau « Floating Earth », conçu par l'architecte Ma Yansong pour Alessi | Design Ma Yan Song/Alessi
" PARFOIS, JE PENSE QUE L'IDÉE PEUT ÉMERGER D'UN RÊVE "
Mais avant cela, Ma a savamment organisé sa carrière. Il fait venir dans son agence Dang Qun, Shanghaïenne formée aux Etats-Unis, et le Japonais Yosuke Hayano, autre transfuge de l'agence de Zaha Hadid. Ensemble, ils proposent des édifices dont la plasticité semble encore proche des théories de Hadid et de son second Patrik Schumacher, théoricien du paramétricisme, méthode (ou école pour ses défenseurs) qui fait jaillir des formes à la fois molles, souples et élastiques du dialogue avec l'ordinateur, caractéristiques de l'agence londonienne. Pour autant Ma se veut à la fois plus poétique et moins mathématique. Il dessine avant de dialoguer avec ses machines.
« Je regarde en moi-même et tente de m'exprimer, explique-t-il. Parfois, je pense que l'idée peut émerger d'un rêve. Ça peut paraître ridicule, mais c'est ainsi qu'on en vient à dessiner à partir d'un rêve. D'où vient ce rêve ? D'une situation particulière. Ainsi, ce qui m'intéresse, c'est d'aller chercher ce qui est au fond de moi. Je ne suis pas un génie en ce sens que, dès le premier instant, je sais ce que je veux. »
C'est ainsi, semble-t-il, que naît la petite bulle du « Bubble Hutong 32 », drôle de chancre en métal brillant poussé dans un méandre des ruelles de Pékin ; et aussi la grosse bulle du Musée d'art d'Ordos, en Mongolie. Sur les bords du lac Taihu, à Huzhou, en face de Suzhou, l'agence Mad, emportée dans sa logique, a construit pour la chaîne d'hôtels Sheraton un édifice en forme de pneu, ou de fer à cheval, comme on voudra, dont les étages supérieurs culminent à 101 mètres.
Il y a un peu de la simplicité de l'oeuf dans ces oeuvres de la deuxième période de Mad. Et l'on ne s'étonnera pas qu'il en naisse aujourd'hui des formes plus complexes et qui suscitent un véritable engouement tant chez les maîtres d'ouvrage que chez les commissaires des expositions d'architecture, à Shenzhen, Hongkong ou Venise.
Voici maintenant Shan Shui Chengshi, la ville paysage, immenses rochers blancs censés recevoir leurs lots d'habitants. Après la forêt urbaine et le « village des montagnes jaunes » en construction pouraccueillir les touristes du site de l'Unesco, on n'ose plus promettre que cela restera du domaine du rêve. Le site de l'agence (I.mad.com) laisse en tout cas songeur.
LE MONDE Par Frédéric Edelmann