En Chine, Hua Yong, un artiste-citoyen évaporé

Publié le 21 Décembre 2017

Par Angélique Forget, Intérim à Shanghai  LIBERATION

Hua Yong dans une vidéo datée du 7 décembre. Capture YouTube

Le peintre chinois, qui a dénoncé dans des vidéos les expulsions massives de travailleurs à Pékin, est recherché par les autorités de son pays.

Les vidéos de Hua Yong se ressemblent toutes. Il apparaît très souvent face à la caméra. Sur les dernières, il témoigne depuis sa cachette. Il y a une quinzaine de jours, au milieu de ce qu’il restait des maisons aplaties par les bulldozers du pouvoir chinois, l’artiste peintre se mettait en scène, son téléphone portable suspendu au bout d’une perche à selfie.

Dreadlocks, veste en jean, et chewing-gum mâché ostensiblement, il déambule tel un justicier parmi les mingong, ces migrants de l’intérieur chassés de Pékin par le pouvoir central. Depuis l’incendie meurtrier du 18 novembre dans un quartier pauvre de la périphérie de la capitale, les autorités font place nette et réduisent à l’état de poussière les habitations de centaines de milliers de travailleurs pauvres.

Dès les premières heures de cette vague d’expulsions jamais vue à Pékin, Hua Yong s’est donné pour mission de documenter et dénoncer les agissements du pouvoir chinois. Dans ses vidéos postées sur YouTube et Wechat, la messagerie aux 980 millions d’utilisateurs, il prend ses abonnés à témoin : «Ce que vous voyez derrière moi pourrait avoir été causé par une tempête, ou un tremblement de terre… mais non, pas du tout, ce sont des hommes qui ont causé ces ruines.» Dans le même temps, alors que les médias d’Etat chinois étouffent ces évacuations forcées, les autorités menacent de représailles tous ceux qui viendraient en aide aux déplacés.

 

«Rééducation»

Le 7 décembre, la police chinoise est venue évacuer des centaines de travailleurs migrants qui bloquent le périphérique dans le quartier de Daxing. Hua Yong est sur place, il a été convié par les habitants pour enregistrer une nouvelle vidéo. Mais à cette date, l’artiste est déjà dans le viseur des autorités et ce jour-là, elles comptent bien mettre fin à ses actions de journaliste citoyen. Des habitants doivent intervenir pour lui permettre de s’exfiltrer. C’est sa dernière apparition publique. Depuis, Hua Yong a disparu des radars. «Cela fait quelques jours que je n’ai plus de nouvelles, raconte par téléphone l’artiste chinois Zhui Hun. Je sais qu’il ne veut pas qu’on le contacte car il doit se protéger, mais je suis très triste pour lui car il ne fait aucun doute qu’il finira en prison.»Son ami de dix ans jure que Hua Yong s’est toujours battu pour défendre les plus faibles. «C’est un soldat de la liberté», martèle-t-il.

Ce n’est pas la première fois que Hua Yong, 48 ans, père d’une petite fille de 3 ans, irrite le pouvoir chinois. Le 4 juin 2012, alors que le Parti communiste interdit toujours, vingt-trois ans après les faits, toute commémoration du massacre des étudiants de la place Tiananmen, il se rend sur place pour réaliser une performance artistique. Aussitôt arrêté, il est envoyé en «rééducation» pendant un an et trois mois dans un camp de travail. Depuis, tous les ans autour du 4 juin, Hua Yong subit le même sort que des dizaines d’autres dissidents chinois : il est envoyé en vacances forcées loin de la capitale.

 

Cerbères

Ces dernières semaines, Hua Yong avait mis de côté ses activités de peintre pour se préoccuper davantage du sort des laborieux de Pékin. Dès les premières évacuations massives de mingong, il confiait que toute création artistique était selon lui «inutile dans une société dans laquelle la vérité ne peut pas être dite». Loin de son atelier du quartier des peintres de Songzhuang dans la banlieue est de la capitale, il nargue aujourd’hui les cerbères du régime sur son compte Twitter. Il appelle notamment tous les journalistes qui le souhaitent à utiliser ses vidéos pour témoigner de la brutalité de la politique du gouvernement de Pékin.

Si, sur la Toile chinoise, tous les contenus liés à ses actions sont censurés, certains n’hésitent pas à louer son audace. «Qu’est-ce qu’il est courageux, commente un blogueur sous pseudonyme. Ce qu’il fait devrait faire rougir les journalistes. Si aujourd’hui nous ne pouvons plus nous exprimer, nous sommes condamnés à vivre comme des animaux.»

 

En attendant, Hua Yong continue de se terrer. Aujourd’hui, il s’en tient à des lettres manuscrites qu’il partage sur son compte Twitter par l’intermédiaire d’un ami. Dans la dernière, publiée mardi, il raconte que ceux qui lui sont venus en aide sont aujourd’hui en prison et appelle à une mobilisation plus large de l’opinion publique. Sa lettre, rédigée à la hâte se termine ainsi : «Hua Yong, toujours en fuite.»

Angélique Forget Intérim à Shanghai

HUA YONG
HUA YONG
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