Pourquoi nous priver de chansons en play-back ?

Publié le 5 Février 2009

Lors de la soirée télévisée du nouvel an 2009, les artistes se produiront en direct. Ordre du ministère. Un éditorialiste s’inscrit en faux contre cette pseudo-mesure de vérité.

Comme le temps passe vite ! Nous voici bientôt arrivés à la fin de l’année [en 2009, le calendrier lunaire fixe le nouvel an chinois au 26 janvier] et la nuit du réveillon tant attendue par le peuple chinois tout entier approche à grands pas. Une fois encore, jeunes et vieux vont pouvoir se rassembler en famille autour du téléviseur pour regarder la soirée spéciale de variétés en play-back. Comment ça ? Plus de play-back ? La presse l’a annoncé ? Elle l’avait déjà dit il y a plusieurs années… Le programmateur de l’émission l’affirme ? Et aussi le réalisateur ? Et le supérieur du réalisateur ? Et le chef du chef ? Le ministère de la Culture l’a décrété ? Vous me faites marcher, cela sonne faux !
Sans la soirée spéciale, beaucoup ignoreraient encore que les chanteurs peuvent faire semblant de chanter, et avec beaucoup d’aplomb par-dessus le marché ! Toute cette application à conquérir le cœur du public ! Porter le play-back au sommet de son art, telle est l’immense contribution que les soirées télévisées de la fête du Printemps ont apportée à la scène culturelle et artistique mondiale ! Un art aussi consommé du play-back a naturellement fait naître des générations et des générations de spectateurs conquis. Ne faisons pas attention aux discussions à ce sujet qui reviennent chaque année, comme si la chanson en direct correspondait à un profond souhait populaire… Si l’on devait vraiment ne plus chanter pour de faux, cela chagrinerait beaucoup de monde !

 

On a besoin de mouches, et non de combattants

 

Il existe de nombreuses raisons de s’inquiéter quand un artiste chante en direct ; l’une d’entre elles ne peut laisser insensible : quand un artiste chante pour de bon, ne s’expose-t-il pas au ridicule ? Les organisateurs du grand gala télévisé de la fête du Printemps supporteraient-ils de perdre ainsi la face ? Il ne s’agit pas de propos en l’air : il y a trois ans, durant le gala, cela s’était produit et on avait été forcé de revenir au play-back. Mon Dieu, c’est vraiment le monde à l’envers ! Est-il plus ridicule de chanter faux ou d’oublier les paroles que de recourir au play-back ? Mais, dans le play-back, au moins, toute honte est déjà bue, on ne risque pas de perdre davantage la face.
De fait, apparemment, tout le monde s’y est habitué et considère qu’il n’y a rien de honteux à avouer ouvertement que l’on donne un spectacle factice pour qu’il soit en tout point parfait. Ne savez-vous pas que les vraies fleurs finissent toujours par se flétrir et que seules les fleurs en plastique durent éternellement ? Sur scène, ce sont des corps momifiés qui prennent vie. Mais si un ordre est adressé en direct, tout le monde sursaute : que se passe-t-il ? Ce geste a-t-il été inspecté ? A-t-il bien passé les trois niveaux d’agrément ? Si chacun se permet un tel relâchement de la discipline, comment diriger la troupe ? L’écrivain Lu Xun n’avait pas tort. Un combattant, même avec des défauts et des blessures, reste un combattant, et la plus belle des mouches [qui va se repaître de son cadavre] reste une mouche. Mais peut-être Lu Xun ne savait-il pas que ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de combattants, mais de mouches* !
Même si la télévision centrale a emménagé dans de nouveaux bâtiments [considérés actuellement comme parmi les plus innovants au monde], il faut laisser le dernier mot à l’animateur vedette Cui Yongyuan : “Les chansons en direct ne peuvent pas modifier l’essence même du gala du nouvel an chinois.” Il voulait dire par là que l’on devait produire un gala qui soit la fête de tous, mais, que je sache, une fête réussie ne nécessite pas forcément que tout soit réglé au cordeau. Ce qu’il voulait dire à demi-mot, c’est que le gala actuel du nouvel an n’est pas une grande fête populaire, mais alors qu’est-ce que c’est ?
Je souhaite enfoncer un peu plus le clou. Ce qu’il y a de plus faux dans cette soirée, ce ne sont pas les chansons. Autrement dit, ce ne sont pas les chansons qui posent problème. Je me demande qui a pu aussi bien induire le public en erreur et faire en sorte que tout le monde pense que ce sont les chanteurs qui réclament le play-back. Certes, certains font semblant de chanter, mais la plupart ont percé grâce à des représentations en direct, et il y en a même qui se plaisent à comparer les vertus des enregistrements en studio et en direct. Mais, alors, peut-on se le permettre ? Quand chaque mot doit avoir été approuvé au préalable, quand chaque expression doit avoir été pesée, quand le réalisateur est obligé de conduire sa soirée comme une mission politique à accomplir, qui peut bien avoir envie de chanter pour de vrai ? Et voilà que, maintenant, la mission fixée par le ministère de la Culture est de chanter en direct. Tâche ô combien glorieuse et difficile !

 

L’art du play-back convient à ce gala

 

Cependant, je suis sûr que beaucoup de gens encore aiment vraiment cette soirée spéciale fête du Printemps, qui les fait rire bêtement tout en les cultivant [elle est généralement composée de chansons et de sketchs comiques fourmillant de références culturelles]. Quel mal y a-t-il à ça ? Par conséquent, je persiste à penser que le direct n’est pas indispensable. Dans une telle soirée, quelle importance que les chanteurs chantent pour de vrai ou en play-back ? A quoi bon se battre pour ça ? Et même, sans play-back, le gala de la fête du Printemps mériterait-il encore son nom ?
Tout art doit être porté par une forme appropriée, toute forme exprime un contenu qui doit lui être adapté. Si les chanteurs ne chantent plus en play-back lors de cette soirée, le terme de play-back ne risque-t-il pas de disparaître des dictionnaires ? Pour moi, pas de gala du nouvel an sans play-back. Je souhaite donc lancer un cri d’alarme : non seulement le play-back doit continuer d’être la règle lors de cette soirée, mais on doit aussi demander qu’il soit classé au patrimoine immatériel de l’humanité, pour que cette pépite rare de l’histoire de l’art brille de tout son éclat pour les siècles des siècles.

* Allusion à un très court essai en prose de Lu Xun datant de 1925 et publié dans Sous le dais fleuri, trad. par François Jullien, éd. Alfred Eibel, 1978.

 

Chang Ping

Xiaoxiang Chenbao

 

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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