Gare à la nouvelle oligarchie capitaliste !

Publié le 12 Novembre 2009

Dans un long texte publié sur Internet, une grande figure du mouvement réformateur dénonce la collusion entre le monde politique et celui des affaires. Analyse.

Le 12 octobre, Zhou Ruijin a publié un article très fouillé et très courageux dans le­quel il dressait un bilan de la politique de réformes et d’ouverture [lancée en 1979]. Il appelle les vieilles générations de hauts dirigeants de la période révolutionnaire à retrouver le courage des premiers temps et à rompre les relations qui les lient aux groupes d’intérêts particuliers. A la faveur de la grande vague de transformation de l’économie chinoise en une économie de marché qui a submergé la Chine depuis les années 1990, la collusion entre le monde de la politique et des affaires est en effet devenue un phénomène répandu aussi bien dans les secteurs immobilier, minier, financier que dans celui de l’énergie. Le début du xxie siècle, rappelle Zhou Ruijin, a vu se développer le secteur public au détriment du secteur privé, et le rôle exercé par l’entreprise individuelle a été minimisé. Des entreprises publiques en situation de monopole ainsi que de nombreuses entreprises privées très puissantes jouissant de ­l’appui de fonctionnaires ont alors en­grangé sans vergogne des profits exorbitants et ont recherché des retours sur investissement illégaux, appuyées et protégées par le “parapluie” des pouvoirs publics.

Pour l’auteur, les groupes d’intérêts particuliers affirment leur puissance non seulement en prenant possession des ressources naturelles, mais aussi en ralliant des porte-paroles politiques, en achetant des spécialistes pour qu’ils se fassent les avocats de leurs pratiques monopolistiques, s’arrogeant ainsi un droit de parole. C’est ainsi qu’ils ont réussi à se forger une légitimité idéologique. Vis-à-vis des instances supérieures, ils avancent la nécessité de préserver la “sécurité économique nationale” ou la “sécurité de la production”, des expressions pompeuses qui traduisent en fait leur volonté de rechercher une protection politique. Vis-à-vis de la base, ils jouent sur les deux tableaux des “usages internationaux” et des “spécificités chinoises” pour exploiter le consommateur. Ils exercent donc une pression à la fois vers le haut et vers le bas. En mettant à mal la justice sociale et les intérêts des simples citoyens, en piétinant les principes de gouvernement du Parti communiste, en ternissant la crédibilité des autorités, ils sont en train de commettre des actes lourds de conséquences.

Toujours selon Zhou, l’alliance du pouvoir et du capital non seulement génère de la corruption, mais permet à des groupes influents d’accaparer les fruits de la croissance économique et d’empiéter sans scrupules sur les intérêts des simples citoyens. Une telle situation peut aisément conduire à une explosion sociale. Si, ces dernières années, de nombreux cadres du Parti et intellectuels clairvoyants ont réclamé une réforme urgente du système politique, c’est précisément parce qu’ils avaient constaté qu’une concentration aussi poussée des ressources naturelles, du capital et du pouvoir en Chine engendrait le risque de s’engager sur la voie d’un capitalisme oligarchique.

Mais le plus grave est l’infiltration du système judiciaire par les groupes d’intérêts particuliers. Actuellement, en raison d’une standardisation encore imparfaite, les juges chinois ont encore beaucoup de latitude. La supervision des départements de la sécurité publique, des parquets et des tribunaux est très faible, ce qui laisse beaucoup de marge de manœuvre aux hommes de loi qui se laissent corrompre et tournent les règlements au profit de leurs corrupteurs. Ainsi, en 2006, cinq magistrats du tribunal intermédiaire de Shenzhen ont été limogés ou arrêtés, tandis que plusieurs dizaines de juges et d’avocats étaient impliqués. En 2008, le vice-président de la Cour suprême, Huang Songyou, a quant à lui été révoqué pour avoir usé de ses fonctions à des fins personnelles, pour en avoir tiré des avantages financiers et pour avoir commis de graves malversations, ce qui avait jeté le discrédit sur la Cour suprême.

A l’opposé des groupes d’intérêts particuliers, on trouve la catégorie des plus démunis qui vivent chichement ou même misérablement. De 1999 à 2006, le poids économique de la Chine a plus que doublé. Mais cette croissance économique s’est accompagnée d’une baisse continue de la part des salaires dans le PIB. Les salaires des employés non fonctionnaires n’ont pas progressé au rythme du PIB, ce qui prouve qu’une grande partie de la population n’a pas eu sa part du gâteau du boom économique. Les simples citoyens sont étranglés par les quatre grandes difficultés (trouver un logement, se faire soigner, scolariser ses enfants, se constituer une retraite). Aujourd’hui, la pauvreté s’étend des campagnes jusque dans les villes. Aux marges des villes prospères et des régions développées, nombreux sont ceux qui se débattent pour vivre en deçà du seuil de pauvreté.

Le maintien de la stabilité sert de prétexte

Le maintien de la stabilité est au cœur des préoccupations des dirigeants du pays. Or, note l’auteur, certains cadres locaux ou administrations font souvent exprès d’amplifier les facteurs d’instabilité sociale pour effrayer leurs supérieurs et leur mettre le couteau sous la gorge afin d’obtenir des financements supplémentaires et faire avancer leur carrière politique. Cette approche irresponsable du maintien de la stabilité est devenue monnaie courante, bien loin de la déontologie politique qui veut que le Parti serve la chose publique et que le pouvoir soit exercé pour le peuple.

Par ailleurs, sous prétexte de ­maintenir la stabilité et de prévenir les troubles, certaines autorités locales politisent les conflits d’intérêts, parfois complexes mais classiques ; ils empêchent les simples citoyens d’exprimer normalement leurs revendications, dédaignant ou retardant la résolution des conflits entre les différentes couches sociales, repoussant sine die la réforme nécessaire du système de gouvernance et de contrôle social.

L’auteur souligne, enfin, qu’au début du lancement des réformes Deng Xiaoping avait justement eu à cœur de séparer intérêts économiques et politiques. Les vieux révolutionnaires avaient résolument abandonné les idées et les modes traditionnels d’exercice du pouvoir qu’ils avaient pourtant participé à créer ; en braves, ils n’avaient pas hésité à se couper un bras, à tout casser pour tout refonder. Ce n’est qu’ainsi qu’ils étaient parvenus à enclencher le grand processus de redressement du peuple chinois.

Par conséquent, Zhou Ruijin appelle dans son article la classe dirigeante à prendre la douloureuse décision de se couper résolument des groupes d’intérêts particuliers, qui ne cherchent qu’à vivre dans le luxe et la débauche sans se soucier de la catastrophe à venir. Et l’auteur de rappeler une phrase célèbre de la dynastie Ming : “Quand on sauve la majorité, on ne peut pas en plus réfléchir aux difficultés de sa propre famille.”

 

Zhou Ruijin

Ancien rédacteur en chef adjoint du quotidien shanghaïen Jiefang Ribao puis de l’organe du Parti communiste chinois (PCC), le Renmin Ribao, Zhou Ruijin, né en 1939, est surtout connu pour avoir publié sous le pseudonyme de Huangfu Ping un article où il appuyait la relance des réformes par Deng Xiaoping, en 1992. S’il intervient assez peu dans le débat politique chinois, ses articles en faveur des réformes n’en ont que plus de poids. L’article d’octobre 2009 est d’abord paru dans son intégralité sur le site Zhongguo Xuanju yu Zhili, qui est soutenu par la fondation Carter. Des versions plus courtes ont été publiées dans des médias pékinois

05.11.2009|Yu Zeyuan|Lianhe Zaobao

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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