Le dialogue social en panne
Publié le 8 Novembre 2009
Le décès d’un responsable d’usine, battu à mort par des ouvriers, illustre l’absence de relais entre la base et la direction au sein des entreprises*.
22Le 24 juillet, des manifestations ont éclaté à Tonghua, dans la province du Jilin (nord-est du
pays). Opposés à la restructuration de leur entreprise, plusieurs milliers d’ouvriers de l’usine sidérurgique Tonggang ont battu à mort le nouveau directeur général. De nombreuses critiques se
sont abattues sur la commission provinciale de gestion et de supervision des investissements publics du Jilin. Cette commission, qui a orchestré le rachat de Tonggang, est accusée de n’avoir pas
réussi à établir le dialogue avec les ouvriers. L’affaire est extrêmement complexe et doit servir de leçon non seulement à Tonggang, mais aussi aux très nombreuses entreprises publiques qui
cherchent à changer de statut. Il ne s’agit pas tant de savoir si les propriétaires doivent nécessairement dialoguer avec les ouvriers dont les intérêts sont liés à cette entreprise, que de
savoir quand et comment entamer cette concertation. Fondamentalement, il faut que les deux parties mettent en place des mécanismes de coopération et de dialogue. Il faut aussi déterminer comment
les organismes qui représentent les intérêts des ouvriers au sein des entreprises d’Etat – syndicats et associations représentatives du personnel – peuvent se dégager de l’emprise de la direction
pour devenir des organisations autonomes, qui soient véritablement les porte-parole des revendications ouvrières. A ce stade des réformes en Chine, cette question ne peut plus être
esquivée.
Le cas de Tonggang est très révélateur. Le groupe était autrefois une entreprise dont l’Etat était seul actionnaire. L’organigramme comprenait un conseil d’administration, des directions, le
comité du Parti et le syndicat. Malgré cela, c’était un système de gestion unifié, dans lequel le syndicat et l’association représentative du personnel ne disposaient pas d’un espace d’expression
autonome. Après avoir payé sa restructuration au prix fort (par des réductions de personnel), le groupe Tonggang a ouvert son capital en novembre 2005 à un tiers d’actionnaires privés,
lesquels avaient fait entrer des hommes à eux dans l’encadrement. La commission provinciale des investissements publics du Jilin et le groupe Jianlong étant devenus actionnaires majoritaires,
lorsque d’importants ajustements stratégiques dans l’entreprise ont été envisagés, aucun canal d’expression direct n’a été instauré qui aurait permis d’entendre les revendications des ouvriers ou
d’obtenir leur coopération. Des tiraillements sont apparus entre les représentants des nouveaux et des anciens actionnaires. Ils se sont rapidement transformés en conflit entre les ouvriers et
les nouveaux actionnaires. Faute de garantie concernant leurs intérêts, les salariés ont perdu confiance dans les représentants du gouvernement et se sont alarmés face à la perspective d’une
nouvelle évolution dans la composition du capital. Ils ont donc refusé de coopérer et ont opté pour la contestation ouverte.
À quand des organisations ouvrières indépendantes ?
Ces dernières années, l’industrie sidérurgique était florissante. Les conflits étaient peu nombreux. Mais, avec le ralentissement économique du second semestre 2008, les problèmes ont été mis à
nu. Les bailleurs de fonds publics et les investisseurs privés ont poursuivi leurs visées, coupés des masses et de la réalité. De leur côté, les anciens gestionnaires du public disposaient encore
du pouvoir de contrôle sur leur main-d’œuvre. L’explosion de conflits sociaux n’était donc qu’une affaire de temps.
Lorsque, le 22 juillet, le gouvernement provincial du Jilin a autorisé Jianlong à augmenter sa participation dans la société Tonggang pour en devenir l’actionnaire majoritaire, les
investisseurs publics sont tout de suite entrés en action, dans l’espoir d’être compris et soutenus par les cadres et ouvriers de Tonggang. Entre les 22 et 24 juillet, plusieurs réunions ont
eu lieu, au cours desquelles il a été dit qu’“il
n’y [aurait] pas de licenciements ni de réductions de salaires. Ceux-ci [seraient] au contraire augmentés le moment venu.” Mais le soutien des gens de l’intérieur, c’est-à-dire les
anciens cadres du public, n’était pas acquis aux actionnaires. Et ceux-ci n’avaient pas non plus prévu de dialogue direct avec les ouvriers. Ils ne pouvaient se fier à personne, il était trop
tard. Le 24 juillet, la tension était palpable. Dans l’après-midi, le directeur dépêché par Jianlong a été pourchassé et frappé avant d’être pris en otage. Personne n’est intervenu. Avec du
recul, on peut dire que cette opposition aveugle a empêché l’entreprise de s’engager sur de bons rails grâce à son rachat. En définitive, ce sont les salariés de base qui sont lésés. Cette
tragédie a des causes multiples, mais une chose est claire : la Chine doit être prête à payer plus cher la restructuration de ses entreprises publiques en instaurant un mécanisme de maintien des
équilibres capable de prendre en compte les intérêts des différentes parties. En s’inspirant du principe de l’Etat de droit, il convient de mettre à l’ordre du jour la question de la création et
de l’indépendance d’organisations ouvrières dirigées par les salariés eux-mêmes dans toutes les entreprises, y compris les sociétés publiques.
** Directrice de la publication de Caijing.
Arrestation
Ji Yigang, un ouvrier de Tonggang, a été incarcéré le 16 octobre. Selon les autorités du Jilin, il aurait avoué être responsable des coups qui ont entraîné le décès de Chen Guojun.
.10.2009 | Hu Shuli** | Caijing