Par ÉRIC MEYER, EN CHINE
La ville de Chongqing veut rivaliser avec les mégapoles industrielles de la côte pacifique.

Sur les rives du Yangzi, les tours de verre surgissent comme des champignons. PHOTO AFP
Là où, sur les falaises jaunes du Yangzi, s'alignaient il y a cinq ans des kilomètres d'immeubles délavés et lépreux, surgissent des tours de verre de dizaines, voire de centaines, de mètres de hauteur. Du haut du mont Pipa, le tout nouveau musée des Sciences est une bulle de lumière dont les reflets bleus se diluent sur le fleuve au courant indomptable. C'est la Chine entière qui se redéploie dans le projet « fou » de créer sous dix ans les plus grandes zones industrielles dans à peu près tous les secteurs : ferroviaire, auto, chimie, électronique…
Big Brother n'est pas loinIci, curieusement, un esprit bon enfant coexiste avec le phénomène « bouche cousue ». La campagne policière de l'an dernier, menée sous l'impulsion du charismatique leader local Bo Xilai, s'était soldée par 1 500 arrestations, de nombreuses peines de prison et l'exécution de Wen Jiang, chef de la police resté inamovible pendant seize ans. La tension se voit dans les rues : aux policiers en faction tous les 200 mètres, aux 500 000 caméras en cours d'installation. Big Brother est parmi nous.
« Cela commence par les petites choses, témoigne David Vandevelde, enseignant de français. En cinq ans, Bo Xilai a forcé les gens à renoncer à cracher, à rouler à moto à contresens ou sans casque. »
En même temps, le secrétaire du Parti faisait fermer les usines salissantes, planter des millions d'arbres. Résultat : au centre de cette ville proverbialement sale, les jours de ciel bleu sont passés de 2 ou 3 par an à 40.
Autre « révolution » originale : Bo Xilai fait diffuser en boucle à la TV locale tous les vieux films rouges, fait parvenir par SMS une pensée de Mao à tous les citadins, organise des concours de chants révolutionnaires et envoie les étudiants à la campagne, « apprendre du peuple ». Tout ceci pour convaincre Pékin que la ville mérite des investissements énormes de la nation, afin de redéployer l'économie vers l'intérieur du pays.
« Chez nous, tout est moins cher »Son œuvre, c'est ce programme national en route, soutenu par de nombreux privilèges, autour de Liangjiang, la zone des « deux rivières », Yangzi et Jialing.
« Toute l'idée », explique Xiaodong Dong, jeune promoteur, « est de délocaliser la côte. Car, chez nous, tout est moins cher. » Eau, gaz, électricité coûtent 30 % de moins que sur la côte, le terrain est à profusion et à bas prix - les prix des appartements représentent 25 % de ceux de Pékin -, et la ville héberge chaque année un million de paysans en quête d'embauche. Avec ces atouts, Chongqing vise les 300 millions de consommateurs du Centre-Ouest chinois, mais aussi toute l'Asie, le monde arabe et même l'Europe. Vaste programme !
Parmi les infrastructures géantes en cours d'installation, on note un port fluvial d'une capacité de traitement de 6 millions de conteneurs par an (le Yangzi permet l'accès de cargos maritimes de 5 000 tonnes, via Shanghai, en cinq jours). L'aéroport veut quadrupler ses possibilités d'accueil d'ici à 2020 pour traiter 75 millions de passagers, autant que Roissy plus Orly l'an passé.
Côté chemin de fer, d'ici à 2012 sera ouverte une liaison vers Duisbourg (Allemagne), qui prévoit 12 trains par mois, acheminant les ordinateurs portables dont Chongqing, avec 120 millions d'unités par an, est premier producteur mondial. « À 800 euros le conteneur de 40 pieds, le prix est le double du bateau. Mais on gagnera trois semaines sur la mer, ce qui est précieux pour les industriels », prédit ce cadre.
Chongqing construit aussi à tour de bras : 300 000 appartements de 50 mètres carrés d'ici à décembre, 500 000 autres d'ici à 2013, à 50 euros par mois, assez pour loger 2 millions de migrants, nouveaux consommateurs ! Enfin parmi la palette d'incitations aux industriels, Chongqing baisse la TVA de 25 % à 15 %.
Le succès est déjà là. Pour 2011, Chongqing annonce un chiffre d'affaires de 34 milliards d'euros, en hausse de 17 %, la plus forte progression du pays. Au vu des usines en cours d'ouverture, la métropole prédit d'ailleurs un triplement de ce chiffre d'ici à 2014.
Une ville avide d'avenirParmi d'autres projets délirants mais en chantier, figurent la future « Hollywood locale » pour la production de films, la zone d'électronique de nuage (cloud computing), où les organisateurs attendent 22 milliards d'euros d'investissements, et, alentour, 30 villes satellites à bas taux d'émission de CO², destinées chacune à 30 000 habitants maximum.
Mais tout ceci reste conditionné à une question : Bo Xilai réussira-t-il à entrer en 2012 au comité permanent, l'organe suprême du Parti communiste chinois, comme la rumeur l'affirme ?
Si oui, Chongqing recevra encore plus de privilèges, comme celui de pouvoir changer librement le yuan avant d'autres régions de Chine. Sinon, tout sera remis en cause : telle est l'épée de Damoclès qui pend au-dessus de la nouvelle métropole du Yangzi.
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