Qiu Xiaolong, écrivain shanghaien émigré aux Etats Unis,
publie depuis des années des romans policiers qui sont autant d’analyses fines et captivantes de l’évolution sociale et politique de la Chine actuelle. Lors de son récent passage à
Paris, notre partenaire Rue 89 a pu l’interroger sur son dernier livre, « Cyber China ».
Qiu Xiaolong, écrivain shanghaien émigré aux Etats Unis, publie depuis des années des romans policiers qui sont autant d’analyses fines et captivantes de l’évolution sociale et politique de
la Chine actuelle. Lors de son récent passage à Paris, nous avons pu l’interroger son dernier livre, « Cyber China ».
Dans ce roman, Zhou Keng, Directeur de la Commission d’urbanisme de la ville de Shanghai, s’est suicidé dans un hôtel célèbre de la ville, la Villa Moller.
On précise à Chen Cao, notre inspecteur préféré, que Zhou était placé sous «shuanggui », à savoir une détention illégale initiée par le département de
contrôle de la discipline du parti. Cette procédure, qui permet d’éviter que des détails compromettants ne soient révélés, et n’est pas du ressort de la police.
Mais Chen Cao intervient comme conseiller spécial et comme haut cadre du parti.
Chasse à l’homme sur le web
Zhou avait subi un véritable lynchage sur
internet après une photo le montrant avec un paquet de cigarettes « 95 Majesté Suprême », auparavant la
marque du seul Deng Xiaoping, et expliquant qu’il était sain que le marché immobilier, dont la hausse étranglait les candidats propriétaires, ne baisse pas.
Cette intervention des internautes ne suffit pas à résoudre les problème mais cela peut être très efficace et on se souvient du scandale du lait contaminé à la mélamine.
Le « suicide » de Zhou crée un vent de panique dans les haut rangs de la municipalité et génère un nouvel épisode de la lutte politique entre les clans de Shanghai et ceux de Pékin qui eux
veulent à tout prix éviter une « bulle » immobilière.
Les autorités demandent à l’inspecteur Chen de conclure à un suicide, mais la mort de son assistant renversé par une voiture, n’est pas un accident…
L’enquête le conduit dans les milieux de la
presse, dans les cyber cafés et chez des internautes militants. Le contrôle sur internet, la nécessité de s’identifier dans les cyber cafés, ne permettent néanmoins pas de
détecter l’origine de la photo qui a déclenché le scandale et nourri la rumeur sur l’enrichissement de Zhou.
« Sans presse indépendante… internet est donc devenu la seule alternative possible. Un moyen d’expression pour la population ». Mais comme le dit Pierre Haski dans son livre « Internet et
la Chine » :
« les technologies ne jouent pas de rôle historique en tant que tel,
elles peuvent être une arme pour toutes les parties, et, bien utilisées, peuvent favoriser l’une ou l’autre ».
Un voyage culturel à Shaoxing
L’enquête conduira l’inspecteur Chen à Shaoxing, une fort jolie ville au sud de Shanghai. Ses talents de poète, son goût pour la littérature lui seront encore une fois utile. Shaoxing est
la ville natale d’un des plus grands écrivains du 20ème siècle : Lu Xun et l’on peut visiter la magnifique demeure familiale.
Chen nous parle aussi du calligraphe Wang Xizi, de la Préface au Pavillon des Orchidées (dont on a pu voir une
copie à l’exposition du musée Guimet sur les « Pierres de Lettrés »), et de la triste histoire du poète Lu
You et de sa cousine Tang Wan.
Mais c’est à Shanghai, dans une pièce attenante au bureau de Zhou que Chen trouvera des preuves et comprendra pourquoi il était urgent que Zhou disparaisse alors qu’il pouvait démontrer
qu’il n’était pas seul dans le jeu…
Ces pièces à conviction seront transmises discrètement par Chen Cao à un haut dignitaire de Pékin pour qu’il puisse « faire le ménage », mais aussi à une journaliste qui pourrait organiser
les fuites sur internet si rien ne se passe…
Le huitième roman de la série de l’inspecteur Chen est d’une excellente cuvée.
L’intrigue est de bonne facture même si ce n’est pas l’essentiel ; le parcours de notre inspecteur à Shanghai et à Shaoxing nous tient en haleine, ses évocations gastronomiques nous font
regretter que le restaurant chinois au coin de notre rue soit aussi peu chinois et aussi médiocre… !
Qiu Xiaolong nous fait aussi découvrir des pages superbes de la poésie chinoise et avec talent et sans lourdeur nous ouvre des portes, nous donne envie d’en savoir plus.
On se réjouira également d’apprendre que sa chronique de la « Cité de la poussière rouge », qui fut publiée par « Le Monde » en épisodes et en livre par Liana Levi sera suivie d’un deuxième
recueil de nouvelles qui sera publié par le même éditeur.
Quelques questions à l’auteur
Rue89 : Comme dans la plupart de vos livres, les références sont
des faits réels…
Qiu Xiaolong : Bien sûr, mais je dois ajouter que parfois la réalité dépasse la fiction : je
viens d’écrire un article sur l’affaire Bo Xilai (haut cadre du Parti communiste limogé et dont la femme est accusé de plusieurs meurtres, ndlr) mais je suis sûr que si j’avais approché un
éditeur avec cette histoire, il m’aurait expliqué que mon intrigue était invraisemblable !
Les marques de cigarette réservées à l’élite du Parti existent bien
dans plusieurs provinces où on les appelle « cigarettes de corruption » !
Quant à la corruption immobilière, il y a eu une véritable lutte
politique entre le pouvoir central et les principales grandes villes du pays.
Le maire de Shanghai a été démis il y a quelques années pour ces mêmes
raisons : souvent près de la moitié des revenus des grandes villes proviennent des terrains qu’elles cèdent aux promoteurs.
Le « boom immobilier » peut être un accélérateur des carrières des principaux
dirigeants et dans le livre, le scandale sur internet vient surtout du fait que l’on ne souhaitait pas que les prix de l’immobilier baissent.
Il y a quelques années, des universitaires notamment Américains,
considéraient que le développement économique conduirait nécessairement à la démocratie, de même on peut lire que certains pensent qu’internet sera un levier vers la
démocratie..
Le développement économique n’a pas conduit à la démocratie, la situation
devient même pire et la crise économique en Occident rend les choses plus compliquées. Desofficiels chinois
expliquent que la Chine progresse fort bien sans crises comme en Occident et …sans démocratie
Néanmoins, les officiels et la population perçoivent
clairement l’ampleur des problèmes, qu’il s’agisse des écarts énormes de niveau de vie ou de la corruption. On parle ouvertement de réformes et même le Premier ministre Wen Jiabao souligne
qu’elles sont inévitables.
Internet ouvre des possibilités ; tous les médias sont contrôlés et le
gouvernement dispose d’outils vis à vis d’internet, qu’il s’agisse du « firewall » (« Grande Muraille de Chine électronique ») ou des listes de mots sensibles par exemple.
Mais le développement des volumes sur internet est explosif et malgré
les ressources qu’il y consacre, c’est très difficile pour le gouvernement de contrôler comme dans le passé.
Un jugement sévère sur Confucius :
« croyez-vous qu’une ancienne idole ressuscitée puisse guérir le pays de sa crise idéologique ?
L’utilisation actuelle de Confucius et les conflits que cela entraîne au sommet
est une preuve du vide idéologique que ne remplissent pas les déclarations sur la « société harmonieuse », Wen Jiabao parle d’un « éboulement dans le domaine moral », propos qui furent
expurgés quelques jours plus tard..
C’est clair que les relations interpersonnelles sont très différentes
de ce qu’elles étaient quand je vivais en Chine. Les gens ne croient plus en rien, il n’y a que l’argent qui compte.
Une belle phrase de la mère de Chen Cao :
« le monde est aussi un peu comme une peinture. Tant qu’on fait
partie dutableau,
on peut ne pas voir la perspective. Alors que si on en sort, on peutvoir des choses qu’on n’avait jamais vues avant. L’illumination ne vient que lorsqu’on ne fait plus partie
de rien »...
Le bouddhisme fait partie de ma culture et pendant mon enfance, mes
parents m’amenaient au temple et récemment il y a eu les cérémonies d’anniversaire des cent ans de la naissance de mon père décédé il y a longtemps déjà.
Je m’intéresse à la philosophie bouddhiste mais actuellement ce qui
domine ce sont les superstitions. On doit donner beaucoup d’argent pour les cérémonies. De plus, on brûlait auparavant du papier monnaie (pour s’assurer que le défunt ne manque de rien dans
l’au delà..), maintenant on brûle des maisons et des voitures en papier et même des effigies de concubines !
Vous nous parlez de la jolie ville de Shaoxing où est né le grand
écrivain Lu Xun..
J’aime beaucoup l’écrivain mais je n’apprécie pas la manière dont il a
été utilisé à des fins politiques par Mao Zedong. Dommage qu’il n’ait pas écrit plus de nouvelles et moins d’essais ; il a animé tant de controverses littéraires dont toutes ne sont pas
intéressantes et il pouvait être très dur.
C’est vrai, comme vous le dites, que je suis plus à l’aise en évoquant
Shaoxing que Wuxi et le lac Tai dans mon précédant roman. De plus internet me tient à cœur, c’est la manière qu’ont les Chinois de résister.
L’internet est aussi un véhicule important pour la littérature. Les
jeunes écrivains publient d’abord sur internet, sur des sites spécialisés où les lecteurs doivent payer des sommes très faibles pour lire les différents épisodes. Quand le nombre de clics
est suffisant et que le succès est là, les textes sont publiés en livre.
Pour survivre, les auteurs doivent écrire beaucoup et lutter non
seulement contre la piraterie mais aussi contre des publications abusives sur Baidu, le Google Chinois ; il y a même actuellement des difficultés avec Apple.
Je ne suis pas certain que la littérature sur internet permettra de
mieux diffuser la littérature chinoise en Occident. La qualité n’est pas toujours suffisante car les auteurs écrivent beaucoup et cela conduirait à des volumes très importants de
traduction.