Pour mieux comprendre les motivations profondes de la médecine chinoise, il faut comprendre « l’état d’esprit » de cette culture si différente de la nôtre :
« Une conception cybernétique de la vie
De même que, dans la Chine antique, la fondation d’une ville et l’architecture de manière générale reflètent une vision hiérarchisée du cosmos destinée à maintenir une harmonie en constant devenir entre les hommes et le ciel, la « société » est comparable à un organisme vivant en interaction perpétuelle avec un cosmos vivant, changeant lui aussi, et non un ensemble d’entités individuelles, séparées, comparables aux pièces jetables d’une vaste mécanique. Connaître les lois qui régissent l’univers revient à connaître également celles qui gouvernent les hommes. Les appliquer à la gouvernance de la société, au niveau aussi bien individuel que collectif, permet de maintenir une harmonie, un équilibre à long terme, car ces lois indiquent aux hommes quels retours, ou feedbacks, destructeurs ou producteurs, peuvent en résulter. Il est donc parfaitement justifié de qualifier la culture chinoise de « cybernétique » (1) et « homéostatique » (2), ainsi que Needham le préconisa.
La médecine taoïste – ou l’acupuncture – obéit aux principes de cette cosmologie. Visant à maintenir chez l’être humain ses capacités homéostatiques, elle est de nature préventive en l’aidant à résister aux agressions extérieures et à s’adapter à ses propres déséquilibres internes, bien que pouvant « réparer » si besoin est. L’être humain est cependant responsable de sa santé. Pour les taoïstes, les sensations usent l’être humain, car elles diminuent en lui « substance et puissance », c’est-à-dire ces forces de vie que sont la matière organique et son capital énergétique.
(1) Homéostatique : du grec homoios « semblable et statos « qui se tient », désigne la tendance des organismes vivants à stabiliser leurs diverses constantes physiologiques. Concept suivant lequel tout système vivant, des micro-organismes aux macrosystèmes climatiques, obéit aux mêmes phénomènes de régulation. Il est désormais admis que la dimension psychologique de la santé est subordonnée aux circonstances socioculturelles et à l’environnement naturel dans lequel l’être humain est immergé.
(2) Cybernétique : du grec Kubernetes « pilote », principe qui signifie que tout retour ou feedback trop brusque risque de conduire la partie régulée à faire un écart plus important dans l’autre direction, jusqu’à entrer dans une oscillation incontrôlable (une guerre par exemple).
La langue chinoise ne possède pas de terme pour traduire ce que les occidentaux entendent par médecine : le mot yi représente en haut à gauche des flèches dans un carquois, en haut à droite un graphisme signifiant « tuer avec une arme » et, en bas, la représentation d’une boisson fermentée non identifiée… Souvenirs pas si lointains du chamanisme dont les pratiques sont restées longtemps présentes dans la religion populaire avant d’être absorbée par le taoïsme et le t’chan ou bouddhisme chinois qui, parvenu au Japon, donna naissance au Zen. Le taoïsme envisage l’homme dans sa totalité, c’est-à-dire dans son environnement sans cesse changeant entre le Ciel et la Terre. C’est pourquoi, selon lui, les pulsations du cœur de l’être humain fusionnent avec celles de l’énergie universelle, le t’chi, dont une partie lui a été dévolue à la naissance.
Le but de la médecine taoïste est de mettre le patient en harmonie avec la « destinée universelle », constituée par l’ensemble des lois du Tao, ou principe d’équilibre et de complémentarité entre les énergies Yin et Yang, toutes deux à l’origine du monde. Toutes les techniques chinoises sont fondées sur un principe : la circulation de l’énergie, le t’chi, auquel s’ajoutent cinq puissances transcendantes ou agents régnant sur le monde.«