En Chine, des champignons "médicaments"

Publié le 28 Octobre 2014

En Chine, cordyceps et lingzhi sont utilisés depuis des millénaires pour fortifier le corps et augmenter la longévité. Leurs vertus se voient aujourd'hui confirmées par des études moléculaires. Reportage à Pékin, à l'Ecole de médecine traditionnelle.

En Chine, des champignons "médicaments"

A tout juste 7h30, le petit marché couvert de Jiadaokou Dong Da Jie, dans le centre historique de Pékin, est en pleine effervescence, les étals tout juste garnis des produits du jour. Madame Li, 67 ans, scrute la qualité des fruits et légumes et négocie ferme chaque aliment.

CHOIX. "Pour avoir les meilleurs produits, il faut venir très tôt, c'est bien connu ! affirme-t-elle en achetant une livre de magnifiques litchis de saison en branche, avant de se diriger vers les champignons. Regardez-moi cette belle botte de jin zhen gu [collybies à pied velouté] bien frais et bien droits : si vous revenez dans quelques heures, il ne restera que des champignons ramollis. Je vais les faire sauter à midi avec un peu de céleri frais et des lamelles de viande de bœuf, c'est un délice et en plus, c'est bon pour la santé !", explique madame Li.

Comme la majorité des Chinois, madame Li considère les champignons comme des aliments de choix. Elle en achète plusieurs fois par semaine. "Dans notre culture, le champignon est perçu comme bénéfique. Avec lacroissance économique, les gens en consomment de plus en plus", confirme monsieur Wang, le vendeur.

+ DE 10 KG. Les chiffres officiels lui donnent raison. La Chine assurait 6 % de la production mondiale de champignons comestibles (champignons de Paris, shiitake, champignons noirs ou oreilles de Judas, collybies...) en 1978 ; elle est passée à près de 80 % depuis 2008, en grande majorité pour la consommation locale. Aujourd'hui, plus de 25 millions de Chinois travaillent dans la culture intensive de cet aliment et, au sein des grandes métropoles, la consommation annuelle a bondi de 6 kg par habitant en 2003 à plus de 10 depuis 2008. Bien au-dessus de la moyenne américaine (1,8 kg) et même européenne (3,6 kg) !

Pour comprendre cet engouement, il faut se plonger dans les concepts fondamentaux, notamment médicinaux, qui conditionnent les habitudes alimentaires du pays. Direction, donc, l'Ecole internationale de médecine traditionnelle chinoise de Pékin. L'Institut est installé sur le campus verdoyant de l'Université de médecine chinoise de Pékin. C'est là que nous rencontrons Fu Yangling, directeur de l'école, spécialiste reconnu de la pharmacopée locale.

LE CORPS ET L'ESPRIT. "Pour saisir notre conception de l'alimentation, il faut rappeler les grands principes de notre médecine, explique-t-il. Très schématiquement, notre approche est beaucoup plus cosmologique, holistique, que celle de l'Occident. Pour nous, le corps humain est parcouru par une énergie vitale en mouvement, le Qi, les maladies étant l'expression, le symptôme de sa mauvaise circulation." Ainsi, les médecins chinois ne cherchent pas à individualiser un principe actif ou un composé précis au niveau moléculaire, mais ils étudient de manière empirique l'action de tel ou tel aliment sur le corps et l'esprit.

De ces observations menées depuis des millénaires, ils ont tiré une classification particulière basée sur quatre types d'énergie (froid, frais, tiède et chaud) et cinq saveurs (sucré, salé, amer, acide et piquant), classification qui correspond à différents mouvements du Qi. Chaque aliment interagit de façon particulière avec l'énergie vitale de la personne. "C'est ainsi qu'un patient déprimé souffre, selon nous, d'une forte stagnation du Qi, reprend Fu Yangling, et nous lui proposons, entre autres, de manger plus de piment pour relancer l'énergie, car il s'agit d'un aliment très "chaud". Dans cette optique, nous considérons le champignon comme un produit frais, plutôt sucré, et en quelque sorte à mi-chemin entre le végétal et l'animal. Mais aussi comme un aliment doux, facilement assimilable par l'organisme, tout en étant très nutritif car riche en protéines de qualité. Il était largement consommé par les adeptes du bouddhisme, végétariens, très nombreux dans la Chine ancienne. Et il fait partie depuis longtemps de notre pharmacopée traditionnelle : c'est sans doute aussi pourquoi il est aujourd'hui perçu comme un aliment sain."

Sain, mais également stimulant : l'an passé, les taïkonautes envoyés dans l'espace à bord du vaisseau Shenzhou X ont eu droit, avant leur retour sur Terre, à un médiatique extrait concentré de dong chong xia cao(Ophiocordyceps sinensis ou Cordyceps), étrange "champignon chenille" qui pousse au-dessus de 4 000 mètres d'altitude sur le plateau tibétain en parasitant les larves d'un papillon.

Considéré comme un très puissant fortifiant, ce champignon prisé en médecine chinoise les aurait aidés à revenir en forme après une mission de quinze jours en orbite.

Fu Yangling nous propose de rencontrer sa collègue, Lu Ying, directrice du petit musée de l'école et spécialiste du sujet, et d'en profiter pour visiter la pharmacie qui renferme différentes variétés médicinales de lingzhi (genreGadonerma), champignons utilisés dans la pharmacopée traditionnelle. Dès l'entrée de style "faux ancien", avec colonnes en plastique et bas-reliefs aux couleurs criardes, le parfum des préparations traditionnelles assaille les narines du visiteur. Des odeurs de racines comme le ginseng se mêlent à un fond de camphre et à toute une palette indiscernable de fleurs et d'écorces séchées, qui donnent au lieu une ambiance ancestrale et sereine. Les patients font la queue pour régler leur consultation avant de passer dans le cabinet du médecin.

LINGHZI. Derrière un grand comptoir, des préparateurs effectuent les mélanges prescrits en piochant avec dextérité dans les innombrables petits casiers à tiroirs des grandes armoires patinées. L'un d'entre eux cherche pour nous l'emplacement des champignons médicinaux. Fébrilement... mais en vain. "Si, si, les lingzhi sont dans la réserve!", intervient Liu Jingyuan, médecin en chef de la clinique, qui précise: "Ce sont des produits très chers que nous prescrivons rarement."

L'employé s'éclipse en silence, puis revient quelques instants plus tard avec une demi-douzaine de sachets. A l'intérieur : des champignons secs en morceaux, rouges, jaunes ou encore noirs, issus de différentes régions du pays... sur lesquels le médecin en chef ne semble pas très calé! "Les champignons n'ont pas une place primordiale dans la médecine traditionnelle chinoise, mais ils y sont présents depuis très longtemps, explique Lu Ying. On en retrouve plusieurs espèces dans la plus vieille liste de substances médicinales connue en Chine, le Shennong Bencao Jing (XXIXe siècle av. J.-C.), en particulier le lingzhi, qui reste le plus réputé."

Aujourd'hui, l'herboristerie chinoise compte entre 30 et 50 espèces de champignons, dont la plupart sont en fait des sous-espèces de ces fameuxlingzhi, nom que l'on peut traduire par "champignon céleste", "champignon d'immortalité" ou encore "champignon merveilleux". Les plus réputés sont sauvages et poussent dans les forêts des régions chaudes et humides autour de Canton ainsi que dans les forêts montagneuses du Sichuan, vers le Tibet. Mais ils sont cultivés partout dans l'empire du Milieu, notamment dans les régions du Sud-Est.

Leur forme particulière, plate et allongée, rappelle celle des spectres des souverains de la Chine ancienne, ce qui leur confère dans la tradition populaire la réputation de garantir chance et longévité. "Le lingzhi n'a pas de prescription spécifique dans notre médecine, reprend Lu Ying. Il est davantage considéré comme un fortifiant très efficace, renforçant l'immunité, et un excellent antioxydant. Il est donc plutôt utilisé de façon préventive, à long terme, pour rester en bonne santé. Toutefois, il peut aussi être employé dans des cas de cancers. De nombreuses études récentes montrent en effet qu'il aurait une action sur les cellules tumorales. Le grand public n'ignore rien de ces vertus, et cela participe beaucoup au succès des champignons de toute sorte dans l'alimentation, car les producteurs jouent sur cette image de produit sain."

PRINCIPE ACTIF. Bien loin de l'approche holistique de la médecinechinoise, les études moléculaires évoquées par la directrice du musée s'attachent à repérer les principes actifs du lingzhi et leur mécanisme d'action. C'est le cas par exemple des travaux de deux chercheurs de l'université de Kyushu (Japon), Jie Liu et Kuniyoshi Shimizu, publiés en 2012 dans Nature, qui tentent de mieux cerner les possibles effets anticancéreux du "champignon céleste".

Qui sait, les études sur les espèces médicinales chinoises apporteront peut-être de nouvelles pistes pour traiter des maladies graves. En attendant, dans une Chine sous pression pour assurer son indépendance alimentaire, les champignons, avec leurs qualités nutritives et leur réputation de bienfaisance, continueront assurément d'être au menu des repas quotidiens!

NUMÉRIQUE. Cet article de Nicolas Sridi est extrait de Sciences et Avenir Hors-série de l'automne 2014, actuellement en vente.

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