Une conscience collective qui renaît

Publié le 22 Juin 2008

Les Chinois se croyaient égoïstes et voués au culte de l’argent. A tort : l’ampleur de la solidarité après le séisme du Sichuan annonce peut-être une nouvelle ère.

Peut-être la Chine sortira-t-elle transformée de l’an­née 2008 ! Le 19 mai à 14 h 28 [une semaine précisément après le séisme], 1,3 milliard de personnes se sont immobilisées et ont fait silence en même temps. Il faut sans doute remonter à la mort de Deng Xiaoping pour trouver un tel moment de recueillement à l’échelle nationale. L’hommage était rendu cette fois-ci à de simples citoyens, à des habitants comme vous et moi. A la fin des trois minutes de silence, un grand courant d’émotion a parcouru la foule rassemblée sur la place Tian’anmen, qui, sans s’être concertée (ni en avoir eu besoin), s’est mise à scander : “Sichuan, tiens bon !”, “Allez la Chine !” Les gens, le poing levé, étaient en pleurs – comme l’étaient toutes les personnes rassemblées devant leur poste de télévision. Mais cette ferveur ne peut être réduite à du patriotisme. Elle est aussi faite d’amour pour leurs compatriotes.
Trente ans après le lancement des réformes, la condition des Chinois s’est améliorée, mais cela s’est accompagné d’un effondrement des valeurs morales et d’un grand vide spirituel. La population est préoccupée par le manque de sécurité des produits alimentaires chinois, la malhonnêteté de certains marchands ou encore la corruption parmi les agents de l’Etat.
Or, tout à coup, nous avons vu des images étonnantes : celle d’un handicapé se traînant à la force des bras jusqu’à un comptoir de collecte de dons ou celle de ces malades des “villages du sida” de la province du Henan [où la population a été contaminée en vendant son sang], si souvent oubliés, qui ont téléphoné pour proposer leur aide financière – correspondant à un mois de revenus ! Oublions l’avarice d’une minorité de richards et la mesquinerie de certains cadres qui ont fait fortune dans l’industrie charbonnière, pour ne regarder que ces Chinois ordinaires, considérés d’habitude comme des êtres grossiers, ces Chinois qui sont pourtant ô combien admirables !
La construction d’une société ci­toyenne implique une morale ci­toyenne fondée sur la confiance mu­tuelle. Chacun a eu les oreilles rebattues de ces histoires de héros qui ont sauvé des vies au mépris de la leur. C’est pourtant leur caractère collectif qui rend ces ­histoires particulièrement émouvantes, et qui nous fait soudain prendre conscience de l’existence d’une confiance réelle : il est encore possible de confier les enfants aux enseignants et il est encore possible de compter sur les gens de son village pour s’occuper des anciens.
Ces histoires innombrables prouvent une chose : en cas de crise, chacun est prêt à protéger les autres comme les siens, en attendant la réciproque. Il est certain que le tremblement de terre du Sichuan a donné l’occasion à chacun de réaffirmer ses capacités et sa conscience du bien et du mal, et à l’ensemble de la population de réaffirmer la confiance mu­tuelle et l’entraide. Cette tragédie a fortement contribué à l’éveil d’une morale ci­toyenne. De ce point de vue, lorsque les gens crient “Allez la Chine !”, “la Chine” représente ici plus eux-mêmes que le gouvernement.


Des bénévoles accourus sans préparation ni formation

L’Etat a certes démontré sa compétence, et la gendarmerie, les pompiers et l’armée ont été impressionnants par leur abnégation, ne craignant ni la fatigue ni le danger pour sauver des vies. Cependant, il faudrait encore moins oublier le dévouement des in­nombrables volontaires. Pour dire les choses telles qu’elles sont, la démarche de ces gens qui ont accouru sur les lieux au volant de leur voiture, sans aucune préparation ni formation préalable, avait un côté un peu balourd et brouillon. Cela a pourtant permis de libérer une énorme énergie.
On peut se demander quel besoin il y a de solliciter l’aide de bénévoles ou d’organisations non gouvernemen­tales, puisque le gouvernement fait preuve d’une réelle efficacité. La ré­ponse est simple : lors des catastrophes naturelles, c’est une lutte contre la montre et on ne peut pas tout miser sur une seule institution. En 2005, le gouvernement américain a tardé à porter secours aux victimes de l’ouragan Katrina, qui a ravagé La Nouvelle-Orléans, mais de nombreuses associations et entreprises sont intervenues en première ligne, et beaucoup plus vite.
En Chine, les associations se ­heurtent depuis longtemps à de nombreuses difficultés, notamment pour récolter des fonds [pour exister, elles doivent être enregistrées, donc contrôlées par les autorités]. Les personnes enclines à la philanthropie ne savent pas très bien si les organismes recevant les dons sont dignes de confiance. En l’absence de concurrence, certaines associations semi-gouvernementales ont une structure très lourde qui obère leur efficacité. De plus, la levée de fonds par des associations d’initiative populaire leur fait souvent courir le risque de se placer dans l’illégalité [très peu sont habilitées à le faire].

Le manque de maturité des associations explique certaines scènes de pagaille au cours de ces opérations de secours qui ont mobilisé tout le pays. En situation inconfortable, les associations caritatives ont eu du mal à ­collecter sur-le-champ des fonds suffisants et ne disposaient pas d’un grand nombre de bénévoles formés prêts à intervenir dans l’urgence sur les lieux de la catastrophe, comme c’est le cas à l’étranger. Les associations chinoises manquent aussi de mécanismes de coordination bien rodés leur permettant d’échanger des informations et de répartir les tâches avec efficacité. Les grands organismes publics et semi-gouvernementaux, eux non plus, ne sont pas adaptés à cette contrainte.
Depuis trente ans, les pouvoirs publics ont progressivement cédé au marché une partie de leur domaine, ce qui a permis à la Chine d’entrer dans une phase de prospérité sans précédent. Néanmoins, le désengagement du gouvernement a parfois été trop poussé et trop rapide – par exemple dans l’éducation, la santé et les services sociaux. Chaque fois que j’observe les débats à ce sujet, je ne peux m’empêcher de penser : et la place des citoyens dans tout cela ?
Les initiatives populaires qui se sont manifestées du nord au sud du pays pour apporter leur aide aux sinistrés sont encourageantes ; sont-elles le signe que nous sommes entrés dans une nouvelle ère ? Entre le gouvernement et le marché, la Chine commencerait-elle à voir émerger un troisième secteur ? J’espère que cette année hors normes sera un tournant dans le processus de réformes et d’ouverture, qu’elle fera de notre peuple des citoyens sûrs d’eux et pleins d’initiative, et qu’elle fera entrer notre pays dans une ère doublement bénéfique, où nous aurons un gouvernement fort et une société forte.

* Chroniqueur hongkongais.

Liang Wendao*
Nanfang Dushibao

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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