Quand la Chine a peur de la famine
Publié le 4 Juillet 2008
Au printemps dernier, une flambée des prix a suscité la panique dans le pays. Depuis, les Chinois s'inquiètent
la fin de l'hiver 2008, les dirigeants chinois découvrirent qu'une
chose ne tournait pas rond. En six mois, sur les marchés, le prix du porc venait de monter de 80 % : les ménagères tentaient en vain de marchander, puis commandaient quelques dizaines de grammes
et non par livres comme d'habitude. La hausse folle touchait, par effet boule de neige, les ?ufs, la farine, l'huile, surtout le riz.
On assista à un début de panique. À Canton, à Shanghai, les supermarchés
durent limiter les ventes autorisées à un sac de 25 kilos de riz par acheteur. Même à ce prix, tous les matins, passé 10 heures, les rayons étaient vides : un vieux réflexe qu'on croyait oublié
refaisait surface, celui du stockage, en vue de disette !
Une riposte fulgurante. Très vif, le Premier ministre, Wen Jiabao, descendit
à Hong Kong : enclave qui préférait le riz de Thaïlande, laquelle venait de fermer ses portes à l'exportation. Wen affirma à la télévision que les greniers chinois avaient 6 mois de réserves (250
millions de tonnes), et en enverraient à Hong Kong chaque fois que nécessaire.
Trois jours après, des trains entiers de farine et de riz des silos d'État
arrivaient dans le Sud, faisant dégonfler les prix : la Chine venait de démontrer qu'elle, au moins, ne connaissait pas la pénurie !
Peu après, le ministère de l'Agriculture transformait l'essai en publiant la
récolte d'été, excellente, comme partout dans la région : 120 millions de tonnes (+ 2,4 %), et pour toute l'année plus de 500 millions de tonnes? La crise était vaincue - pour l'instant
!
Des fondamentaux non
durables. Cependant, l'alerte continue à clignoter
à la Bourse de Chicago, qui sait que Pékin, pour la première fois en neuf ans, ne va plus exporter de maïs, au moins cette année. C'est que son agriculture prend, depuis vingt ans, les coups
d'une prodigieuse mutation.
Par centaines de millions, les paysans montent à la ville (déjà 56 %
de la population, 700 millions d'habitants). Ils quittent le riz pour le pain et exigent de la viande, des œufs, de la bière, produits grands dévoreurs de céréales. Sans compter l'arrivée de la
voiture, dont 10 millions seront achetées cette année, et comme le pétrole ne suffit pas, dès l'an dernier, 3 millions de tonnes de maïs ont troqué le supermarché pour la station-service,
transformées en éthanol.
Les « ceintures vertes » des villes disparaissent sous le béton. Depuis
1978, la terre cultivable a chuté de 121 millions d'hectares à 105 en 2006. C'est la limite, alors que la Chine n'a que 7 % de son territoire cultivable.
Pénurie d'eau. Enfin, la Chine, qui n'a qu'un quart de la ration mondiale d'eau, la gaspille. 70 % va aux champs.
Avec le manque, des millions d'hectares ne sont plus arrosés. La nappe aquifère a baissé à 100 mètres, parfois à 1 000 mètres. Dans vingt ans, elle sera vide. Tout se passe comme si, sous l'angle
alimentaire, la terre chinoise ne pouvait pas supporter une si lourde population.
Courant mai, l'économiste américain Leister Brown alertait Pékin :
sous dix ans, la Chine devrait acheter jusqu'à 10 % de son grain, 50 millions de tonnes, ou la totalité du marché libre mondial? Au risque d'affamer les pays pauvres d'Afrique ou d'Asie,
incapables de payer?
Dans un domaine, au moins,
cette « fiction » est déjà la réa- lité : la Chine ne peut plus produire assez d'huile, et commande cette année pour 9 milliards de dollars de graines de colza à l'Amérique, sans compter
d'énormes stocks de soja argentin et du Brésil. On voit à l'horizon de la planète verte une tempête qui se prépare, made in China.
Eric Meyer, à Pékin