La colère gronde devant l’iniquité du pouvoir

Publié le 23 Septembre 2008

La mort de six policiers, tués par un homme qui leur reprochait de l’avoir torturé, a suscité de nombreuses réactions. Ce texte extrait d’un blog a fait le tour du cyberespace chinois. 


J’ai lu ces jours-ci sur Internet que, le 26 août dernier, des centaines de plaignants s’étaient massés devant l’entrée de la Haute Cour du Sichuan à Chengdu pour obtenir un rendez-vous avec son président. Il n’y a pas eu de heurts avec la police, mais, au milieu des pleurs et des insultes, on a pu entendre des “A bas les tribunaux corrompus !” et “A bas les tribunaux bandits !” Une personne aurait même lancé : “Faut-il aller jusqu’à se transformer en bombe humaine pour régler les problèmes ?” Ce dernier propos m’a bouleversé, et je n’ai pu m’empêcher de repenser à l’attaque à l’arme blanche commise par Yang Jia sur des policiers à Shanghai le 1er juillet 2008, qui a fait six morts et cinq blessés. [Yang Jia a été condamné à mort le 1er septembre.] Un an auparavant, Yang Jia avait été arrêté par des policiers alors qu’il circulait sur un vélo volé. Il avait été emmené au poste de police, où il avait subi plus de cinq heures d’interrogatoire avant d’être finalement innocenté. Il était ensuite revenu plusieurs fois à Shanghai pour se plaindre d’avoir été passé à tabac et blessé au cours de sa garde à vue. Le commissariat avait ensuite dépêché deux de ses agents à Pékin chez Yang Jia pour tenter de clore l’affaire en lui offrant un dédommagement, mais il avait refusé cet arrangement. Cela s’est achevé par le bain de sang du 1er juillet.
Il aurait fallu tirer les leçons de cette tragédie pour éviter qu’elle ne se reproduise. Tout en poursuivant au pénal Yang Jia, les autorités shanghaïennes auraient dû éclaircir les raisons qui l’ont poussé à tuer les policiers. Mais cela ne s’est pas passé ainsi. Non seulement les
autorités shanghaïennes n’ont pas enquêté réellement sur les causes profondes de ce drame, mais elles ont commis de nombreuses irrégularités, masquant la réalité des faits et cherchant à tromper l’opinion publique. Jia Xiaoyin, un ami de Yang Jia, a révélé sur Internet que celui-ci avait été tabassé si fort lors de son interrogatoire au poste de police que cela l’avait rendu impuissant, et qu’il avait porté plainte à plusieurs reprises. Cela a valu à Jia Xiaoyin d’être arrêté pour diffamation. De nombreux internautes se sont demandé ce qui avait pu faire naître tant de haine chez Yang Jia pour qu’il se venge de façon aussi cruelle. Les dénégations de la police au sujet des tortures qui ont été infligées à Yang Jia pendant la garde à vue sont de toute évidence mensongères.

 

Yang Jia a probablement été torturé par la police

 

Mais comment un passage à tabac a-t-il pu rendre quelqu’un impuissant ? Il se trouve que je suis tombé sur un article paru dans le quotidien pékinois Xinjing Bao, relatant une information selon laquelle, “entre le 30 juin et le 2 juillet 2007, trois officiers de police de Changchun [dans le nord-est du pays] ont infligé de mauvais traitements à un habitant de la ville, en ordonnant notamment à quatre détenus de lui faire ingurgiter du sel, en le rouant de coups et en lui tordant les testicules. L’homme n’a pas survécu à ce passage à tabac.” Si cet homme est décédé de ces mauvais traitements, pourquoi Yang Jia ne serait-il pas devenu impuissant après avoir subi le même genre de sévices ? Cela me paraît plus que vraisemblable.

 

L’ami de Yang Jia a été arrêté, sa mère a “disparu”

 

Or, pour les Chinois, “des trois manquements à la piété filiale, ne pas laisser de postérité est le plus grave” [citation de Mencius, philosophe chinois ayant vécu au IVe siècle av. J.-C.)]. Yang Jia étant très soucieux de piété filiale, il n’a sans doute pas supporté de ne plus pouvoir avoir d’enfants après son passage à tabac, d’où son projet d’assassinat. Jia Xiaoyin n’est pas la seule personne bien informée à avoir été incarcérée. C’est aussi le cas de la mère de Yang Jia. Après la tuerie, la police de Shanghai a envoyé des agents à Pékin pour la prier de les suivre “pour les besoins de l’enquête”. On est sans nouvelles d’elle depuis. L’avocat de la famille a signalé sa disparition aux autorités de Pékin et de Shanghai, en demandant une enquête sur son possible enlèvement, mais en vain. La manière dont les autorités shanghaïennes ont traité l’affaire, loin d’apaiser les tensions, n’a fait au contraire que les aggraver. Les meurtres de policiers commis par Yang Jia ne doivent rien à la fatalité. Ils témoignent de tensions portées à leur paroxysme entre les autorités et un simple citoyen. Dans de telles circonstances, voir surgir des bombes humaines n’a rien d’extraordinaire.

 

Il faut bien comprendre que le danger de voir un Yang Jia se transformer en bombe humaine n’est pas le propre de Shanghai. Les mouvements de défense des droits individuels et leur violente répression, qui touchent tout le pays, ont créé partout des foyers prêts à s’embraser. Les manifestations qui ont agité Chengdu le 26 août sont le fruit de ressentiments accumulés depuis plusieurs années. Ainsi, la Haute Cour provinciale du Sichuan aurait eu à traiter ces dernières années de très nombreux dossiers de verdicts injustes, et les procédures d’appel auraient conduit à annuler plus de 4 000 décisions judiciaires. Ces chiffres valables pour le Sichuan ne sont sans doute pas très différents dans les autres provinces. Parmi tous ces gens qui, en Chine, ne peuvent faire valoir leurs droits alors qu’ils sont victimes d’injustices ou qui sont réprimés quand ils portent plainte en haut lieu, le risque existe de voir apparaître un autre Yang Jia et même de voir des individus se transformer en bombes humaines.

 

Ces propos peuvent paraître un peu excessifs, mais je pense qu’il ne faut pas hésiter à forcer le trait pour faire prendre conscience de la gravité de la situation. Les dirigeants à tous les échelons doivent l’avoir à l’esprit pour changer leur façon de penser, rectifier les jugements erronés, s’attaquer aux causes susceptibles de conduire à de nouveaux drames et mettre vraiment en pratique leur idéal de construction d’une société. De Yang Jia aux bombes humaines, il n’y a qu’un pas. Que les puissants s’en souviennent.

 

Du Guang*

Tianyi (TECN)

 

* Ancien professeur à l’Ecole du Parti communiste chinois.

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article