Les mingong n'ont décidément pas la vie facile.
Venus de campagnes pauvres, ils débarquent dans les grandes villes où ils exercent les travaux dont personne ne veut, pour des sommes dérisoires.
Sur place, ils n'ont pas accès aux services publics dont bénéficient les citadins en raison de leur permis de résidence (hukou) "rural", ce qui en fait, selon certains, des
"citoyens de seconde zone". Mais pour les familles de migrants exilées à Pékin, la tâche va encore se compliquer.
Pendant l'été, le gouvernement municipal de la capitale a en effet décidé de fermer plus de 20 de ces écoles privées qui avaient fleuries dans la banlieue pour accueillir
ces enfants à des prix modiques, alors que les portes de l'école publique leur sont fermées.
En tout, ce sont près de 30 000 enfants qui ont vu leur établissement mettre la clef sous la porte sur injonction des autorités, officiellement pour des raisons de
sécurité.
Il est vrai que ces écoles illégales, fondées par des personnes privées et entièrement financées par les parents d'élèves, ne présentent pas des conditions optimales pour
les enfants. Mais elles n'en restent pas moins la béquille nécessaire d'un système qui abandonne à elle-même une partie de sa population.
"Fermer une école revient à ouvrir une
prison"
Selon le bureau de statistiques de Pékin, les travailleurs migrants représenteraient environ un tiers de la population de la ville. Leur nombre aurait augmenté de 6 millions depuis
2000.
L'affaire a provoqué une vive réaction de la presse, des internautes et de différents activistes, et les vagues promesses du gouvernement de trouver une solution pour
ces enfants n'ont pas suffit à calmer les esprits. D'autant que des associations de défense des travailleurs migrants craignent que cette vague de fermetures de soit qu'un
début, et que 130 autres écoles similaires soient bientôt concernées.
Sur Weibo, de nombreuses personnes ont
commenté l'affaire. "Fermer une école revient à ouvrir une
prison", commente un internaute, paraphrasant Victo Hugo dans un tweet qui a beaucoup circulé.
"Quelle genre d'humanité est-ce là? Il semble que toutes
nos politiques soient
décidées sans véritable plan et se contentent de foncer tête baissée. Est-ce le résultat d'une mauvaise habitude ou d'une mauvaise balance des pouvoirs?", interroge Chen Hui
dans un chat sur
le sujet ouvert par QQ.com entre les internautes et Yu Jianrong, spécialisé dans le développement rural à l'Académie des Sciences Sociales de Chine.
Les migrants, indésirables mais nécessaires
"Permettre que des enfants se retrouvent sans école
est une atteinte au droit des citoyens à une éducation égale", estime le chercheur. Pour lui, il s'agit d'abord pour les gouvernements locaux de récupérer des terrains.
"Actuellement, beaucoup de gouvernements locaux sont financés
par la vente de
terrains, et notre nation met en avant la stabilité avant tout. Sans les revenus de lavente des terrains, les gouvernements locaux n'auraient pas assez d'argent pour leur
fonctionnement, or cela est la première chose pour assurer la stabilité".
C'est pourquoi la plupart de ces écoles de migrants sont déjà cernées par de grandes tours résidentielles neuves. Et dans la lointaine banlieue, au delà du cinquième périphérique,
les quartiers pauvres où habitent les migrants sont eux aussi progressivement rasés, obligeant ces derniers à déménager toujours plus loin.
Pourtant, toutes les villes chinoises n'appliquent pas les même recettes. Plusieurs villes, telles que Chongqing, Chengdu ou Shanghai ont adopté des politiquesd'assouplissement
des restrictions imposées à ceux qui ne disposent d'un hukou rural.
Par ailleurs, Shanghai, qui se trouve dans une situation similaire à Pékin, a investi des sommes considérables dans les écoles de migrants, et assure l'accueil de 120 000 de
leurs enfants, selon l'hebdomadaire Economic Observer.
Car si de tels bassins de populations défavorisées dans les grandes villes peuvent représenter un danger pour la sacro-sainte stabilité, ces travailleurs pauvres n'en sont pas moins
nécessaires au fonctionnement de l'économie.
Dans le New York Times, Kam Wing Chan, chercheur à l'université de Washington
spécialisé dans l'étude des politiques chinoises sur les travailleurs migrants, le soutient: "Les classes moyennes détestent voir ce
genre de pauvreté, mais ils ne pourraient pas vivre sans cette main d'oeuvre bon marché".