Petite histoire édifiante du lait frelaté

Publié le 11 Octobre 2008

Dans un marché très concurrentiel, la jeune industrie laitière n’a pas pu empêcher des pratiques douteuses. Des milliers de

nourrissons en paient aujourd’hui le prix, accuse le principal magazine économique chinois.

 

L’introduction frauduleuse de mélamine dans le lait au Hebei remonte à 2005, a révélé le 17 septembre le vice-gouverneur de la province. D’après l’enquête que nous avons menée dans les milieux de l’industrie laitière, il s’agissait d’un secret de Polichinelle. Alors que, au début des années 1980, quand l’industrie laitière commençait à se développer en Chine, les entreprises disposaient de leurs propres fermes et commercialisaient donc leur propre production, le groupe Sanlu – à cause duquel a éclaté le scandale actuel du lait frelaté – a été le premier à changer cela. En prenant la direction du groupe, en 1987, Tian Wenhua [arrêtée le 17 septembre] a décidé de supprimer les fermes selon le principe qu’il fallait “envoyer les vaches à la campagne et faire entrer le lait en ville”. Il s’agissait de vendre des vaches aux paysans, qui, en contrepartie, devaient vendre leur lait à Sanlu. Si les paysans n’avaient pas l’argent nécessaire pour acheter des vaches, Sanlu les leur “offrait”, et ils remboursaient leurs dettes sous forme de lait ou en échelonnant les paiements.

 

Renvoyer les vaches à la campagne

 

D’une certaine manière, le “renvoi des vaches à la campagne” fut un moyen d’accroître la production tout en minimisant les coûts. A l’époque, l’élevage de vaches laitières offrait aux paysans des perspectives de profit bien plus séduisantes que la culture de la terre, et ils se tournèrent en masse vers cette nouvelle activité ; ce qui permit à Sanlu d’augmenter rapidement sa capacité de production. Parallèlement, Sanlu se lança dans une politique de coopération avec les pouvoirs publics locaux pour construire des stations de collecte du lait. Les petits fermiers apportaient leur lait aux points de collecte, qui l’acheminaient ensuite aux usines laitières Sanlu. Grâce à cela, les vaches firent leur entrée dans les familles chinoises ordinaires. Bien loin de la pratique occidentale, en Chine, 80 % des 16 millions de vaches laitières sont entre les mains de petits fermiers.

 
C’est ce modèle de développement qui a permis à la Chine de se hisser au troisième rang mondial (juste après l’Inde et les Etats-Unis) pour la production de produits laitiers au cours des vingt années suivantes, mais c’est aussi lui qui portait en germe des risques majeurs. Il ne pouvait convenir qu’à l’époque où chaque entreprise laitière dominait son propre secteur. En effet, quand ces sociétés étaient les seules forces présentes localement, toutes les stations de collecte privées s’efforçaient de gagner leurs bonnes grâces. Sanlu détenait alors dans la province du Hebei le droit de refus final du lait après inspection de sa qualité ; l’entreprise avait même le droit de déverser sur place le lait fourni par les stations de collecte s’il ne correspondait pas aux exigences de qualité. Ce droit de contrôle très brutal a prévalu jusqu’en 2005. A partir de cette date, la concurrence s’est intensifiée et les grandes compagnies laitières ont rivalisé au niveau national pour s’emparer de nouvelles parts de marché, tandis qu’à l’intérieur même du Hebei de nombreuses usines voyaient le jour, offrant une capacité totale de production largement supérieure à la capacité totale d’approvisionnement en lait de la province. Une bataille pour le lait s’est donc engagée entre les usines laitières, le dernier mot revenant désormais aux stations de collecte, et non plus aux usines laitières. Ces dernières n’avaient plus les moyens de contrôler le bon fonctionnement des stations de collecte, et les vérifications effectuées par les pouvoirs publics n’étaient pas non plus très abouties. Cela devait conduire tôt ou tard à un désastre.
Mais, en 2006, en pleine expansion des entreprises laitières au niveau national, a éclaté en Chine une crise du secteur qui a porté un coup d’arrêt à la croissance du cheptel de vaches laitières. Dans certaines régions, on a même dû abattre des bêtes et jeter du lait dans les égouts. La plupart des stations de collecte privées sont devenues les cibles d’une lutte acharnée entre entreprises. En fait, certains patrons de ces stations se sont transformés ces dernières années en véritables “tyrans du lait”, faisant usage de leurs relations et de leur puissance pour empêcher d’autres stations d’empiéter sur leur sphère d’influence. Ils contrôlaient en amont les petits fermiers et dictaient leur prix en aval aux usines laitières. Ces “tyrans” tiennent les paysans en respect en retardant le paiement de leurs factures. Ils attendent septembre pour régler des factures de juin. Ils profitent aussi de la concurrence pour fixer des tarifs élevés.

 

De nombreuses laiteries dominées par ces personnages peu recommandables, ne se contentant pas de leur maigre marge de 0,10 à 0,20 yuan par litre de lait, se sont mises à ajouter “des choses”. Des professionnels du secteur nous ont expliqué que couper le lait avec de l’eau ou y ajouter des alcalis était une broutille : des stations de collecte comptent maintenant parmi leur personnel des “maîtres ès manipulations du lait” ou utilisent des “substances modifiantes” et des “ca­naux de distribution” spécialisés. Certains parviennent même à produire du lait sans vaches ! A partir de 2005, avec l’intensification de la bataille pour l’approvisionnement en lait dans le Hebei, l’addition de substances est devenue une pratique de plus en plus courante. On a commencé par ajouter des protéines animales, puis végétales, avant de rajouter d’autres substances permettant d’élever la teneur protéinique du lait, comme du substrat hyperprotéiné (une poudre de protéines végétales mélangées à de la mélamine).
Finalement, en 2008, avec l’effondrement des cours du lait, une partie de ces apprentis sorciers ont commencé à utiliser directement de la mélamine. Mais, comme le font remarquer certains professionnels, le fait que la teneur en mélamine trouvée dans les laits en poudre Sanlu soit aussi élevée (2,3 g par kilogramme) laisse penser que le problème ne se limite pas aux stations de collecte. Il ne faut pas exclure la possibilité d’ajout de mélamine à tous les niveaux, du paysan à la station de collecte et à l’usine laitière.

 

Gong Jing
Caijing

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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