Ça va bouger dans les campagnes

Publié le 23 Octobre 2008

En donnant aux paysans chinois le droit de transmettre leurs terres, Pékin entend bouleverser le modèle économique rural. Mais la réforme n’est pas sans risque.

La réforme du système foncier rural qui a été entérinée, le 12 octobre, lors du 3e plénum du 17e Comité central du Parti communiste chinois suscite un énorme intérêt. Experts et journalistes se sont penchés sur les avantages et les risques potentiels pour la société de la transmissibilité des terres. Les discussions ont laissé entrevoir une certaine inquiétude. Cela rend crucial de savoir qui détiendra réellement le droit de gestion des terres.
Les paysans disposent depuis 1983 du droit contractuel d’exploitation de la terre, mais le droit de gestion de leur parcelle est un droit essentiel dont ils ne bénéficiaient pas jusqu’à présent. En leur donnant ce droit et en leur octroyant la possibilité de négocier le droit d’exploiter leurs terres, le gouvernement devrait permettre aux paysans de mieux valoriser leurs parcelles. Elles deviendraient alors susceptibles de générer des revenus assez élevés.
La situation actuelle dans les campagnes exige cette évolution. Comme la surface arable par agriculteur est peu élevée [un demi-hectare par foyer rural en 2004], les collectivités rurales [propriétaires en titre de la terre] doivent répartir de façon équilibrée bonnes et mauvaises terres. Cela conduit à un morcellement des parcelles, d’où une augmentation inutile des coûts de production. Par ailleurs, bon nombre de paysans vivent toute l’année loin de chez eux. Ils font du commerce ou travaillent comme ouvriers. Certains choisissent même de s’installer définitivement en ville. S’ils disposaient du droit de gérer librement leurs terres, ils pourraient concéder leurs parcelles à ceux qui continuent à se consacrer à la production agricole. Cela favoriserait une utilisation optimale des ressources foncières et permettrait de générer plus de profits.

Tout cela implique cependant la réalisation préalable d’une condition juridique. Il faut que les foyers paysans aient le pouvoir de décider de mettre ou non sur le marché leur droit d’exploitation contractuel de leur parcelle. La réforme vise, au fond, à consolider les droits des paysans sur leurs terres et à renforcer leur capacité à se défendre, y compris face aux entreprises, aux collectivités et aux autorités locales. La réforme renforce l’autonomie des paysans, y compris dans la décision de vendre leur terre. Ce point est pourtant négligé dans de nombreux débats actuels. On admet généralement que le morcellement excessif des terres constitue un obstacle à la modernisation de la production agricole, car il rend difficile la généralisation des techniques de pointe et empêche les agriculteurs d’être en phase avec le marché. Aussi, quand les paysans pourront vendre, louer ou hypothéquer leurs terres, il sera sans doute possible pour eux de sortir du cadre de l’économie de microexploitations pour aller vers un mode d’exploitation plus intensif et à grande échelle.
Cela ne manque pas d’inquiéter. En donnant aux paysans des droits fonciers plus complets et mieux garantis, on risque de renforcer le schéma actuel du morcellement des terres rurales et de contribuer au maintien de l’économie de microexploitations. La mise en place du système des contrats de production familiale dans le village de Xiaogang [à la fin des années 1970, voir ci-contre], puis sa généralisation [en 1983] ont constitué un retour à l’économie de microexploitations après l’illusion collectiviste. Chaque amélioration du système apportée par le gouvernement au cours des trente années écoulées a toujours eu pour objectif de renforcer progressivement les droits fonciers de l’économie de microexploitations.

Vers l’apparition de grandes exploitations ?


La réforme ne doit bien sûr instituer qu’un état préliminaire de la répartition des droits fonciers. Ce sera le point de départ vers une répartition foncière rationnelle, non une situation définitive. Cet état préliminaire, une fois institué, rend possible l’évolution de l’économie de microexploitations, fondée sur le morcellement des terres. En effet, une partie des foyers pourront céder à d’autres familles ou à des investisseurs commerciaux leur droit d’exploiter contractuellement une parcelle, tandis qu’une autre partie d’entre eux pourront s’associer spontanément en coopératives, concourant ainsi à l’apparition d’une économie de plus grande ampleur.

Si l’on saisissait bien la nature fondamentale de cette réforme, à savoir qu’elle octroie de nouveaux droits aux paysans, on ne discuterait pas trop hâtivement des perspectives d’intensification de l’exploitation. On serait plus attentif aux différentes possibilités d’évolution de la répartition des terres. En effet, comment les paysans qui auront bénéficié d’un élargissement de leurs droits géreront-ils celui d’exploiter une parcelle selon un mode contractuel ? Actuellement, personne ne peut répondre à cette question. Tout ce que l’on peut faire, c’est accorder aux paysans le pouvoir de décision dans ce domaine. L’apparition d’une exploitation intensive n’est donc pas inéluctable, c’est seulement une possibilité. Cependant, le plus important est que les décisions prises par les paysans en fonction de leur propre jugement iront dans le sens d’une amélioration de l’efficacité économique.

Au cours des années passées, chaque fois qu’il a été nécessaire de vendre ou de louer les terres, les paysans l’ont fait en cédant leur droit d’exploitation contractuel. Mais, parallèlement, de nombreuses collectivités locales ont forcé les agriculteurs à regrouper leurs terres pour se livrer à telle ou telle production ou à céder leurs parcelles à des investisseurs commerciaux, au détriment de leurs droits et de leurs intérêts. Cela a eu des con­séquences désastreuses sur la disponibilité des ressources foncières [la spoliation des paysans est l’une des principales sources de conflits sociaux depuis une dizaine d’années]. En économie, l’efficacité suppose comme condition préalable un échange vo­lontaire entre les deux parties. On ne peut donc pas parler d’efficacité quand le gouvernement ou les collectivités locales prennent la décision de mettre une parcelle sur le marché à la place des paysans et sans leur consentement !

Depuis longtemps, les autorités locales ont pris l’habitude de décider à la place des paysans. Cette réforme foncière, en accordant aux paysans plus de droits, exige de l’ensemble de la société, et notamment des pouvoirs publics, davantage de considération à l’égard des agriculteurs. Ce respect doit être le postulat de base de toute discussion et de toute prise de décision dans ce domaine.

Nanfang Dushibao

 Garantie

“Le système de contrat d’exploitation des terres associé à la possibilité de se grouper pour gérer les terres est la meilleure garantie de défense des intérêts des paysans chinois”, affirme le journal économique 21 Shiji Jingji Baodao. “Pour les paysans qui ont migré en ville, conserver une parcelle de terre dans leur campagne fait toute la différence. Cela leur permet de négocier avec leur employeur. On peut dire que le système de contrat d’exploitation des terres est le plus fiable et le plus efficace des systèmes pour les migrants chinois. S’ils perdaient leurs terres, ils pourraient sans doute bénéficier du statut de citadin, mais ils formeraient une couche sociale encore plus basse que celle des paysans-ouvriers, car leurs revenus ne seraient pas garantis. La stabilité sociale et le développement du pays pourraient alors en pâtir.”

Source Courrier International

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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