Attention à la paupérisation
Publié le 15 Décembre 2008
Les migrants fournissent la majorité des revenus de la population rurale.
Leur mise au chômage touchera des millions de familles.
Alors que la fin de l’année approche, les régions côtières de Chine, en particulier le
delta de la rivière des Perles, sont touchées par une vague de retour au bercail des paysans migrants. Certains avancent que cette migration n’est pas forcément un phénomène négatif. L’Etat ayant
récemment lancé une série de mesures de soutien à l’agriculture et au monde rural, expliquent-ils, les paysans qui ont perdu leur emploi en ville ont tout intérêt à rentrer chez eux pour se
consacrer à la production agricole. D’un autre côté, leur départ des villes contribuerait à alléger la pression qui pèse sur le marché de l’emploi urbain.
Je considère que, à moins d’être très naïfs, les gens qui avancent ce genre d’arguments manquent d’une connaissance élémentaire des caractéristiques de la Chine. Le retour massif dans les zones
rurales d’ouvriers d’origine paysanne n’est en rien un libre choix de leur part. Il s’agit d’un repli rendu nécessaire par la vague de faillites parmi les entreprises. Fin 2007, la Chine comptait
226 millions de travailleurs migrants, qui ont fourni cette année-là 90 % des revenus des 728 millions de paysans chinois*. La “nouvelle politique foncière” [annoncée en
octobre 2008] profite aux paysans qui habitent dans des régions en voie d’urbanisation à la périphérie des villes [en les autorisant à monnayer les droits d’usage sur les terres], mais pas à
ceux qui résident dans des zones éloignées et vivent principalement de l’exportation de leur force de travail. Le prix d’achat des céréales a été relevé de 15 % à 16 %, mais c’est une
goutte d’eau pour les travailleurs migrants qui rentrent chez eux. Pour ces derniers, le retour en zone rurale ne signifie pas qu’ils vont profiter des charmes de la vie champêtre et pastorale,
mais qu’ils vont être frappés par le chômage et la misère.
D’après les statistiques de la commission d’Etat chargée du Développement et des
Réformes, 67 000 petites et moyennes entreprises ont déposé le bilan en Chine au cours du premier semestre 2008. A l’approche de la fin de l’année, les entreprises sont de plus en plus
nombreuses à devenir déficitaires. Au cours de la seule première quinzaine d’octobre, une cinquantaine d’entreprises hongkongaises ont été mises en liquidation dans le delta de la rivière des
Perles. Un responsable de la Fédération des industries hongkongaises estime qu’un quart des 70 000 entreprises hongkongaises travaillant dans le delta de la rivière des Perles pourraient
avoir mis la clé sous la porte d’ici à la fin de l’année.
Nous allons devoir suivre de près la situation de tous ces travailleurs migrants qui retournent en zone rurale après avoir perdu leur emploi. Dans la très grande majorité des cas, la rémunération
qu’ils percevaient lorsqu’ils étaient en activité leur permettait de faire vivre tant bien que mal leur famille. Maintenant qu’ils se retrouvent au chômage, ils risquent de tomber rapidement
au-dessous du seuil de survie. Si l’emploi d’un travailleur migrant sur dix (soit 23 millions en chiffres absolus) est menacé, ce sont 60 à 70 millions de personnes qui comptaient
sur eux pour leur subsistance qui seront touchées. On ne peut donc sous-estimer le phénomène. A Zhangmutou, dans la préfecture de Dongguan, la fermeture des deux grandes usines du fabricant de
jouets Smart Union Group a mis au chômage près de 7 000 travailleurs, et ce sont les autorités locales qui ont dû avancer l’argent pour régler les arriérés de salaire des ouvriers.
Il ne faut pas se focaliser sur le fait que les ouvriers risquent fort de ne jamais toucher leurs salaires impayés ; il faut surtout se préoccuper des difficultés de réinsertion
professionnelle de ces travailleurs migrants. Ceux-ci peuvent tenir le coup quelques mois, mais, s’ils devaient rester au chômage plus d’une année, leur situation deviendrait alors extrêmement
angoissante. Il ne s’agirait plus simplement d’un problème économique de choix professionnel, mais bien d’un problème social et politique de plus grande ampleur.
*Selon le spécialiste du monde rural chinois
Claude Aubert, interrogé en octobre 2008, 60 % du revenu paysan ne provient pas de l’agriculture.
Tong Dahuan