Pékin craint que le conflit du Xinjiang ne lui échappe

Publié le 11 Juillet 2009

Les Hans sont descendus dans la rue pour se venger des Ouïgours. Pékin s'inquiète à l'approche du 60e anniversaire du régime. Le président est rentré d'urgence

mardi matin, 2,3 millions d'habitants d'Urumqi, la capitale du Xinjiang, se sont réveillés d'une nuit souvent courte, ponctuée du bruit des balles et des relents de gaz lacrymogène, mais surtout pleins de rage et d'envie d'en découdre, chaque communauté se regroupant instinctivement pour faire face à l'autre. Le président Hu Jintao, en visite officielle en Italie pour participer au sommet du G8, a décidé d'interrompre son voyage et de rentrer en Chine en raison de la situation

Les éléments déclencheurs des événements de lundi ne sont pas encore clairs. Depuis l'étranger, des membres du Congrès mondial ouïgour reconnaissent avoir programmé une manifestation, qu'ils voulaient pacifique, pour protester contre l'incident grave de Shaoguan à Canton, à 5 500 kilomètres du Xinjiang. Fin juin, au moins deux travailleurs immigrés avaient été tués, suite à l'accusation calomnieuse d'avoir violé des filles hans. Mais, selon ces responsables, les premières violences seraient parties des rangs de la police armée, qui traditionnellement réprime sans limite les rassemblements interdits.

Explosion de haine

Canton publie, seulement aujourd'hui, une information capitale qu'elle tenait jusqu'alors secrète, sans doute pour éviter la polémique : 13 des coupables hans dans cette affaire ont été emprisonnés « en date du 5 juillet ». On peut se dire que si Canton avait annoncé sans retard ces arrestations, la bombe n'aurait pas explosé... le jour même !

Les témoignages laissent apparaître que cette explosion de haine xénophobe fut telle de la part des Ouïgours déterminés à se venger, que beaucoup d'entre eux étaient prêts à y laisser la vie. Les chiffres sont terribles : à l'hôpital du peuple, sur les 274 blessés admis, 233 étaient hans. Un témoin décrit même l'arrivée d'un blessé grave que le personnel ouïgour ignore ostensiblement.

Ainsi donc, on peut imaginer que le lendemain matin, découvrant les rues calcinées et les boutiques d'Hans incendiées, entendant les récits amplifiés et déformés des exactions contre leurs proches, les Hans n'aient pensé, à leur tour, qu'à la vengeance aveugle.

Une quasi-lapidation

Dès les premières heures de la matinée, quelques milliers d'Hans et d'Huis (minorité sinophone musulmane et pro-han) sont descendus dans les rues, chantant l'hymne national (clair signal, dans leur esprit, que les Turkmènes ne sont pas chinois), et lançant les slogans suivants : « L'union fait la force », ou « Exterminez les Ouïgours ».

Plusieurs scènes furent consignées, de poursuite de jeunes locaux, y compris une quasi-lapidation d'un adolescent réfugié dans un arbre, sauvé de justesse par quelques Hans lucides et courageux. Plusieurs rues furent le terrain de batailles à coups de pierres entre ethnies. La police tenta de s'interposer, mais fut vite dépassée par les événements. Même les grenades lacrymogènes n'arrêtaient plus les masses en colère.

Ailleurs, des femmes voilées se présentaient en pleurs, leurs enfants dans les bras, montrant aux soldats casqués les papiers de leurs frères ou maris arrêtés la veille, parmi les 1 314 Ouïgours envoyés en prison.

Du coup, on le sent bien, les autorités se savent sur une poudrière, et tentent par tous les moyens d'arrêter cette explosion peut-être provoquée par leurs hommes la veille.

Sur une fourgonnette, Li Zhi, secrétaire du parti, haranguait les foules au porte-voix, les priant de rentrer chez elles.

Conscientes de l'enjeu

Mardi soir, une seconde nuit de couvre-feu était décrétée. Car si, au Xinjiang, les Ouïgours forment la moitié des 20 millions d'habitants, à Urumqi, ils ne sont que 15 % des 2,3 millions de cette métropole régionale. Selon un observateur, « tout dépendra de la capacité des policiers à tirer sur leur propre ethnie. S'ils en sont capables, l'ordre sera maintenu. Sinon, un bain de sang ouïgour peut couler ! »

Les autorités chinoises sont conscientes de l'enjeu. En cas de nouveau dérapage, c'est tout le Xinjiang ouïgour et rural qui pourrait rallier Urumqi pour défendre ses frères, lançant la région dans une guerre civile ethnique totale.

On n'en est pas là mais, pour les autorités, le pire des cauchemars est devenu quasi-réalité : un conflit ethnique qui dynamite son mythe de la « société harmonieuse », à dix semaines du 60e anniversaire du régime.

éric meyer à Pékin SUD OUEST | Mercredi 08 Juillet 2009

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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