Urumqi, la ville coupée en deux

Publié le 13 Juillet 2009

Des milliers de membres des forces de l'ordre chinoises ont été déployés hier pour former un cordon entre les quartiers des Ouïgours musulmans et des Hans. Les affrontements auraient fait plus de 150 morts

À Urumqi, l'aéroport du Xinjiang, le hall de départ est bondé de gens anxieux, avec ou sans billets. Les avions partent tous complets, remplis de réfugiés volontaires pour toute destination, pourvu qu'ils partent. Tous ces citadins, hans pour la plupart, craignent la violence de la ville frappée de folie et veulent trouver refuge ailleurs.

Les Ouïgours, eux, n'osent plus s'aventurer hors de leur quartier, par peur de se faire lyncher, et préparent en silence leurs milices d'autodéfense.

Une drôle de guerre

La ville s'est vite installée dans une drôle de guerre : une ligne de démarcation est apparue, lourdement protégée par l'armée, le long de l'avenue du Peuple, au sud de laquelle se trouve le quartier ouïgour. De l'autre côté, par centaines, les Hans chinois crient, armés de matraques, coupe-coupe et manches de pioche. Le scénario s'est reproduit deux fois devant la presse hier mercredi : des Ouïgours surpris isolés sont tabassés, sous les piaillements hystériques de femmes incitant au massacre, et puis la troupe arrive très vite, au pas de course, en tenue de combat et armée de fusils automatiques montés d'une baïonnette, pour dégager l'ensanglanté, le porter en sécurité.

Grâce à cette promptitude, le nombre de morts - tenu secret - doit être encore limité. De même, dans la journée, la troupe a chargé un groupe de Hans de 1 000 excités environ, arrêtant quelques meneurs, tandis que la foule, éberluée, protestait au spectacle de Hans arrêtant des Hans : « Relâchez-les, relâchez- les ! »

Ainsi, des scènes inouïes se produisent : à la périphérie de leur quartier, quelques centaines de Turkmènes insultent la troupe dans leur langue, inconscients du fait qu'elle les protège, contre sa propre ethnie.

« Tout leur est permis »

Abkar, Ouïgour de 20 ans, témoigne à l'AFP que, dans la nuit de mardi à mercredi, « 300 Hans se sont introduits dans le quartier musulman, ravageant plusieurs maisons et un restaurant ». Deux Ouïgours seraient morts...

Une colère déferlante agite les deux communautés s'accusant mutuellement de tous les maux. Li Yufang, marchand de nippes, dénonce les Ouïgours comme « gâtés comme des pandas. Viol, vol ou meurtre : tout leur est permis. »

Au moins, le pire, pour l'instant, est évité : un massacre généralisé de Ouïgours par les Hans, qui inciterait les millions de Ouïgours à aller à Urumqi pour défendre leurs frères !

Les autorités, pendant ce temps, tentent de remonter la pente, communiquant par les médias, porte-voix ou par tracts jetés d'hélicoptère. La situation est si grave que le président Hu Jintao est revenu précipitamment d'Italie, renonçant à participer au sommet du G8 à L'Aquila. Il espère empêcher toute autre erreur, comme cette charge violente qu'aurait lancée la troupe dimanche soir contre la manifestation des Ouïgours consécutive à la bavure de Canton.

Rebyia Khader, la chef de file des Ouïgours en exil, prétend que cette charge aurait causé « 400 morts » du côté des siens, bien loin des 156 décès, pour la plupart hans, du bilan officiel. Hu Jintao espère discuter avec les leaders régionaux et leur donner le courage de faire face.

Plaidoyer pour la raison

Jamais, en soixante ans, on n'a vu au Xinjiang une situation aussi grave, où la haine l'emporte sur la peur dans les deux camps. D'un seul coup, cette ville qui vivait dans une paix malaisée, mais où Turkmènes et Chinois hans travaillaient ensemble, se retrouve soudainement ethniquement et géographiquement divisée, sans garantie des lendemains.

Partout, en Chine, la presse dénonce la loi du talion, plaidant pour la raison et l'État de droit. Mais on se demande si ce langage peut encore être entendu. L'armée, en tout cas, ne peut pas maintenir indéfiniment ce contrôle épuisant et inefficace entre communautés ne rêvant que d'en découdre.

Triste résultat, après soixante ans d'un socialisme placé sous le signe de l'union interethnique !

 Éric Meyer, à Pékin _ SUD OUEST | Jeudi 09 Juillet 2009

 

 

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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