A Pékin, les espoirs déçus de l'olympisme

Publié le 10 Août 2009

Un an après la tenue des JO, le sinologue François Godement ne perçoit aucun signe d'amélioration sur le chapitre des droits de l'homme

 

Professeur à Sciences Po Paris et directeur d'Asia Centre, auteur de nombreux ouvrages sur l'Asie et la Chine, François Godement suit de près les évolutions de l'empire du Milieu.


Sud Ouest. Les Jeux Olympiques ont-ils eu un impact sur la société chinoise ?

François Godement. Sur les classes moyennes et la société urbaine, oui. Les Jeux ont correspondu à un moment de prestige et de fierté nationale, quoi qu’on puisse penser des excès de la propagande. C’était un événement considérable dans la vie des gens. Des mois après, vous pouvez voir des jeunes Chinois se repasser des images de la cérémonie d’ouverture ou de certaines des épreuves. Il ne faut pas minorer le succès des Jeux auprès de la société chinoise.

A Pékin, la vie a-t-elle repris son cours comme avant ?

Il y a un «après-Jeux», avec le problème assez classique de l’utilisation des installations olympiques. On ne sait pas trop ce qui est resté des mesures de limitation de la pollution à Pékin. La ville a conservé la circulation alternée. Mais la moindre rigueur du système et l’augmentation incessante du parc automobile en annulent les effets. Et puis l’actualité des Jeux a été vite effacée par la crise économique, qui a un impact très inégal suivant les régions chinoises. Il est très visible dans les régions d’industrie exportatrices du sud de la Chine et de la côte, il l’est beaucoup moins à Pékin.

Qu’en est-il du sort des quelque 20 millions d’ouvriers d’origine rurale qui ont perdu leur emploi ?

Cette question des travailleurs migrants est extrêmement difficile à traiter. Elle s’appuie sur la seule statistique officielle : 20 millions de personnes qui ne sont pas revenues en ville après le Nouvel an chinois au mois de février. En milieu rural, il y a des capacités d’entraide locales. Beaucoup de gens ont encore de la famille. Et puis le gigantesque plan de relance chinois (NDLR : 440 milliards d'euros) génère de l’emploi : projets d’infrastrutures, projets routiers, chemins de fer etc. Il y a aussi une politique d’augmentation des dépenses sociales. On n’est pas à l’échelle des besoins, mais elle existe quand même. On ne peut pas dire que le gouvernement chi nois soit resté inactif. On dispose d’ailleurs de statistiques qui ne sont pas totalement crédibles mais qui existent néanmoins, selon lesquelles les salaires auraient progressé au premier semestre 2009.

Quel est le rythme de la croissance chinoise pour 2009 ?

On se situe entre 8 et 9%. Avec tout un débat sur la qualité de cette croissance, portée à bout de bras par le crédit et qui repose sur des grands projets. Il y a des statistiques beaucoup plus inquiétantes sur les petites industries d’assemblage. Pour autant, ce n’est pas une croissance virtuelle.
La crise économique amène-t-elle la Chine à repenser son modèle de développement, celui de «l’atelier du monde» ?
Non. Les Chinois se sont adaptés, ils ont pris des mesures de soutien pour faire face à la panne de la demande extérieure, ils parlent d’évolution vers un modèle social. Mais la question essentielle est ailleurs. Les autorités ont injecté tellement de crédits, tellement de liquidités dans le système qu’il faut que la demande internationale reparte pour que la croissance se poursuive. Les exportations doivent impérativement redémarrer. La Chine a fait le pari d’un trou d’air massif en 2009, suivi par une reprise en 2010. Si elle est au rendez-vous, le pays surmontera la crise bien mieux que d’autres. Si elle n’est pas au rendez-vous, il se retrouvera avec une situation financière dégradée, et sans perspective de croissance.

Les efforts sur le respect de l’environnement produits avant et pendant les JO se sont-ils poursuivis ?

Il y a eu une reconnaissance publique marquée des problèmes  posés par les gaz à effet de serre. Un programme d’efficience énergétique est mis en place. Il ne date d’ailleurs pas des JO. Mais la crise a perturbé le jeu. Des crédits consacrés à la lutte contre la pollution ont été coupés et ventilés vers la croissance. Des petits producteurs polluants pouvaient être fermés lors des périodes de très forte croissance. Maintenant, on ne va pas faire beaucoup d’efforts pour les faire disparaître. Au-delà de ce contexte, la Chine ne se veut pas en pointe sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, alors qu’elle est le deuxième, voire le premier pollueur mondial. Elle est en attente des grandes conférences mondiales sur la question, notamment du sommet de Copenhague en décembre. La version officielle reste la suivante : c'est aux pays développés de produire les plus gros efforts.

Il y a eu, le mois dernier, des affrontements sanglants entre les Hans et la minorité ouigour à Urumqi, dans le nord-ouest du pays. Pour quelles raisons ?

Le clash avec les Ouigours est assez différent de la situation tibétaine. Ce sont des troubles liés à l'immigration interne en Chine et aux heurts entre communautés. Ce sont deux fractions modernisées de la population chinoise qui s'affrontent. Les Ouigours d'Urumqi sont eux-mêmes des nouveaux arrivants. Ils ont réagi à des discriminations contre les Ouigours migrants du sud de la Chine, dans des régions bien plus industrielles. Les immigrés Hans sont eux aussi des arrivants récents. Ces heurts  ne sont pas d'inspiration indépendantiste ou sécessionnniste. Il s'agit d'un clash entre deux catégories d'immigrés de l'intérieur.

Qu'en est-il de la situation des droits de l'homme depuis un an ?

C'est un des points les plus sombres de la société chinoise. Le régime n'a cessé de durcir sa position sur les opposants, sur les journalistes, les avocats… Peut-être la peur des troubles sociaux liés à la crise joue-t-elle un rôle. Mais en tous les cas, on peut constater qu'il n'y a pas de libéralisation du régime.

Pourquoi ce raidissement ?
Il part du sentiment de légitimité du Parti communiste chinois, probablement accentué par la gestion de la crise et de sa volonté absolue de ne pas entrer dans un schéma d'évolution qui pourrait déraper.

Et au Tibet ?
Il y a une chape de plomb au Tibet. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir des surprises liées aux monastères et aux moines. Je pense qu'il y a en même temps un certain découragement de la part du Dalaï-Lama et de son entourage. On reste informé de la situation sur les droits de l'homme par les ONG. Mais dans les grandes lignes. Il y a très peu de témoins directs…

Que pensez-vous a posteriori de l'argument du Comité olympique internationla, comme quoi les JO favoriseraient la liberté d'expression en Chine ?
Tout le discours sur l'importance des JO pour la libéralisation de la société et de la politique chinoises est évidemment nul et non avenu. C'est même l'effet contraire.

Y-a-t-il du moins une évolution du regard des Chinois sur l'Occident, du fait de la multiplication des contacts avec les étrangers durant les JO ?

Je n'en suis pas très sûr. A Pékin et dans les professions liées au tourisme, il y a eu des efforts. Il est frappant de voir que les chauffeurs de taxi, qui n'émargent pas dans les catégories les plus éduquées de la population, étaient obligés d'apprendre quelques phrases d'anglais. Mais je pense que l'événement a plutôt été appréhendé par les Chinois dans sa dimension nationale, à travers les athlètes chinois, plutôt que comme un rapprochement significatif entre les peuples.

A l'automne dernier, le sommet Union européenne / Chine avait été reporté du fait de la partie chinoise. Le climat s'est-il réchauffé ?
Les contacts sont renoués. Il y a eu un sommet au mois de mai, certes très bref. Mais la Chine considère clairement que l'interlocuteur principal, ce sont les Etats-Unis. Sans aller jusqu'à un G2, un gouvernement mondial sino-américain, l'Europe a, vis-à-vis de la Chine, la difficulté de sa cohésion et de son unité d'action. Néanmoins, les Chinois savent très bien que le premier marché mondial reste le marché européen.

Auteur : jean-denis renard
jd.renard@sudouest.com

SUD OUEST | Dimanche 09 Aout 2009

 

 

Rédigé par Taichichouaneur

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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