Chine, l'usine du monde à bout

Publié le 2 Août 2010

Mouvements de grève en série, pressions sur les bas salaires, actes violents commis par des désespérés… la classe ouvrière du pays tente de survivre au sein d'une société corrompue.

 Des ouvriers du bâtiment chinois en pause, sur un chantier à Pékin en 2009. Des conditions de travail difficiles et des salaires toujours bas font craindre une explosion sociale. Photo AFP
Des ouvriers du bâtiment chinois en pause, sur un chantier à Pékin en 2009. Des conditions de travail difficiles et des salaires toujours bas font craindre une explosion sociale. PHOTO AFP

Le lundi 14 juin au matin, à Zhongshan (Chine du Sud), derrière les grilles de cette usine produisant les serrures des Honda made in China, une centaine d'hommes et de femmes en tenue blanche marchent vers les ateliers, abandonnant les 1 300 autres à une grève tenue depuis une semaine. Mais la victoire de la direction est de courte durée : quelques heures plus tard, elle doit admettre que 90 % de ces métallos qui ont repris leurs postes se sont mis en grève perlée, suivant les consignes du « conseil ouvrier » que les grévistes viennent d'élire dans les ateliers.

De son côté, depuis la veille, Honda recrute tous les paysans qui se présentent à l'embauche, faisant ainsi peser sur ses grévistes un chantage : scènes bien connues en Europe ou en Amérique, mais jamais vues en Chine, où le syndicalisme est interdit - mis à part la centrale officielle de l'ACFTU, manipulée par le Parti communiste et toujours en faveur de l'employeur…

Un terrain social explosif

Un peu partout à travers le pays, d'autres grèves éclatent. À Kunshan (Jiangsu), 250 ouvriers de chez KOK (caoutchouc) arrêtent leurs machines. Ils protestent contre les bas salaires et la trop forte température des ateliers. À Xi'An, les 8 000 hommes des machines à coudre nippones Brother débraient, suivis, à Pingdingshan (Henan), par 3 000 ouvriers du coton. À Gaotang, chez Tralinpak, les ouvriers expriment leur colère dans leur forum de discussion sur Internet : « Patrons et syndicat se moquent bien si on crève… » ; « Faisons tous la grève, sinon les rares qui osent seront virés… » Cette action sur Internet est le ferment invisible mais surpuissant du changement. L'État n'y peut rien, étant donné les 384 millions - et bientôt (en 2015) 550 millions - d'internautes à surveiller. Car le Web permet de brûler les étapes : la semaine passée, un ouvrier Honda de 19 ans, au nom de ses compagnons, a réussi à contacter le professeur Chang Kai, le plus grand expert chinois en négociations ouvrières, pour lui demander d'agir comme médiateur. Dès le lendemain, Chang, répondant à l'appel, s'envolait de Tokyo pour Zhongshan. D'après lui, le gouvernement de Pékin a été impressionné par l'habileté et la maturité de ces jeunes ouvriers.

Fait également nouveau en Chine : Honda encourage l'élection d'interlocuteurs avec qui négocier (ce qui est, en théorie, interdit par la loi) et soutient la légalisation du conseil ouvrier de Zhongshan. Finalement, les ouvriers, qui réclamaient 72 % de hausse des salaires, reprendront le travail le 17 juin, avec seulement 15 % de hausse. Mais ce n'est qu'un début, « le sommet de l'iceberg », prédit Mitsuo Shimizu, analyste chez Cosmo à Tokyo.

Appauvrissement ouvrier

Effectivement, reconnaît l'ACFTU, Pékin a vu en 2009 ses conflits de travail tripler, avec 73 000 plaintes, un record. En douze ans, la part salariale du produit national brut est passée de 56 % à 36 % : la plupart des ouvriers s'appauvrissent. Aussi, l'État cède sur ce qui lui semble le moins grave : les salaires. Le salaire minimum vient en effet d'être relevé de 10 à 20 % dans la majorité des provinces… Et, dans Pékin, l'État paie les frais des 20 000 procès d'arbitrage attendus (50 millions d'euros cette année), tout en annonçant pour fin 2011 la négociation d'une convention collective, probablement inspirée du modèle français - il feint d'ignorer que, hors des villes, les lois restent souvent lettre morte.

Sans le dire, le gouvernement de Hu Jintao espère reporter le dossier jusqu'à la fin de son mandat, en 2012, pour le léguer à ses successeurs. Problème : après le massacre de la place Tian'anmen en 1989, l'aile réformatrice du parti a disparu et, avec elle, toute velléité de réforme politique. Toute l'économie s'est modernisée, la société de même, mais pas les principes staliniens du pouvoir, ni sa tradition autoritaire, à laquelle s'ajoute aujourd'hui la corruption.

Traumatisme social

Cela crée au fil du temps un traumatisme, qui se ressent dans les usines, mais aussi en dehors. À un rythme exponentiel dans les villes, des gestes de désespoir se multiplient depuis juin. Le 4 juin, un forcené de Canton était abattu par la police dans son appartement. Le 9, trois médecins du Shanxi étaient blessés dans l'incendie de leur hôpital, causé par un patient mécontent. Le même jour, un paysan de Wuhan (Hubei) tirait, avec un canon bricolé, sur des promoteurs venus l'exproprier. Le 11, un jeune faisait exploser une bombe artisanale dans un bus au Yunnan, et, à Yichun (Heilongjiang), un plaignant poignardait un greffier avant de se suicider au poison.

Encore plus emblématique de la situation de stress dans laquelle la population chinoise vit, cette sombre histoire qui s'est passée dans la région du Hunan : début juin, un chef de sécurité à la poste d'une ville moyenne s'est rendu au tribunal et y a tué trois juges, avant de se suicider. À son enterrement, des « supporteurs » ont posé une couronne de « héros et martyr » sur son cercueil. Au motif que cet homme (au demeurant atteint d'un cancer en phase terminale) avait débarrassé l'humanité de magistrats qui prenaient des bakchichs et faisaient chanter les plaignants…

Source: 8 juillet 2010  Par ÉRIC MEYER - SUD OUEST

 

Rédigé par Ecole de Tai Ji Quan Côte basque

Publié dans #taichichuan-cotebasque

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