Publié le 2 Septembre 2010
Pour beaucoup de dirigeants provinciaux, il est normal de maltraiter des personnes venant soumettre leurs doléances aux autorités, souligne un intellectuel. Mais cette fois il y a eu méprise sur la personne traitée en "ennemie".
29.07.2010 | Shao Jian* | nanfang Dushibao
© AFP
A Wuhan [capitale du Hubei, centre de la Chine], dans le district de Wuchang, six policiers ont sévèrement battu la femme d'un haut fonctionnaire de la province à l'entrée du bâtiment abritant le Comité provincial du Parti [le 23 juin dernier]. En allant rendre visite à l'hôpital à la victime, gravement blessée, le secrétaire du Comité du Parti de l'arrondissement a affirmé : "C'est une erreur ! Une erreur pure et simple ! Il est incroyable que la femme d'un grand dirigeant ait été battue." Nous savons que la victime a été battue parce qu'elle a été prise pour une personne venant déposer une réclamation. Un couple de plaignants a été témoin de la scène. Les six policiers faisaient partie d'une division spéciale "plaignants" placée par la Sécurité publique locale devant les locaux du Comité provincial du Parti.
En entendant le secrétaire du Comité du Parti invoquer à plusieurs reprises un malentendu, une personne présente aurait demandé : "On ne peut pas battre la femme d'un responsable, mais celle d'un simple citoyen, c'est possible ?" L'affaire a été divulguée sur Internet, où quelqu'un a posté un message mettant le doigt sur le cœur du problème. Le malentendu porte en fait sur trois points : "Premièrement, frapper les gens est normal ; ce qui ne va pas, c'est juste qu'aujourd'hui on a frappé la mauvaise personne, c'est pourquoi on parle d'une 'erreur'. Deuxièmement, il y a erreur parce que la personne battue n'est pas une plaignante ordinaire, mais une proche d'un haut dirigeant du gouvernement provincial. Troisièmement, frapper les gens fait partie de la mission professionnelle de ces policiers." A propos de la légitimité de cet acte, voyons ce qui se passe dans les provinces voisines.
Il y a quelques jours, l'hebdomadaire Nandu Zhoukan a publié le livre de bord d'un responsable de la municipalité de Changsha, dans le Hunan [au sud du Hubei]. On peut y lire un compte-rendu de l'intervention d'un maire d'arrondissement lors d'une assemblée municipale : "Les personnes qui viennent exposer leurs doléances en haut lieu ou montent à la capitale pour cela doivent être considérées par les services de la Sécurité publique comme des forces ennemies", a dit ce dirigeant. Voilà qui explique parfaitement le passage à tabac de cette femme au Hubei. La victime a été prise pour une plaignante, donc pour une "force ennemie" ; pourquoi ne pas lui taper dessus ? A propos de la démarche à adopter vis-à-vis des ennemis, la Constitution est très claire : il faut exercer la dictature. L'erreur commise par les policiers est donc tout à fait logique ; ils peuvent arguer s'en être pris non pas à un membre du peuple, mais à un ennemi. La Sécurité publique est l'organe de la dictature du prolétariat. Ce n'est que parce que les agents ont exercé cette "dictature" sur quelqu'un de leur propre clan qu'il y a véritablement erreur dans le cas présent.
S'il s'agit d'"ennemis", les mesures préconisées par ce responsable du Hunan coulent de source : "Il faut continuer à encourager à frapper les uns, juger les autres ou encore les rééduquer. Si l'emploi des moyens de la justice ne suffit pas, il faut organiser des groupes d'études [méthode des campagnes de répression politique de la période maoïste] pour eux." Nous citons tel quel ce beau morceau de bravoure, rare par son authenticité de la part d'un membre du pouvoir et digne de figurer dans les annales de l'histoire de notre pays ! Quand on lit cela, on ne s'étonne plus que cette femme ait été battue.
Il n'existe pas d'ennemi au départ, mais une manière de voir (destinée à servir ses propres intérêts) qui crée des ennemis. Cette manière de voir et les comportements qu'elle engendre sont susceptibles d'entraîner de l'instabilité sociale (car naturellement une société avec des ennemis n'est pas une société stable). Aussi en est-on réduit à utiliser l'argent des contribuables pour maintenir l'ordre. Quand donc sortira-t-on de ce cercle infernal ?